mercredi 14 août 2019

Un bon décrassage, voilà ce qu'il me fallait, pense Syméon Claudex tandis qu'il progresse à petites foulées sur le chemin. L'air est doux, et une légère brise descendue des collines fait s'ébrouer le feuillage fourni de l'été. Une fine poussière se soulève du sentier sec au passage du Runner_littéraire.

Syméon Claudex pense à la Terre. À l'immense amas de roches qu'est la Terre. Il regarde les cailloux qui parsèment la piste et se dit qu'aussi petits qu'ils soient sur cette Terre immense, les cailloux et la Terre ne sont que des poussières de taille presque identique au regard de l'Univers infini.

Il pense à l'Univers contracté en un point infiniment petit, puis explosant en une fraction infiniment petite d'une nanoseconde, et aussitôt se déployant en expansion infinie. Syméon pense aux treize milliards d'années écoulées depuis le Big Bang, et se dit qu'on ne peut concevoir une telle durée du haut d'une vie humaine. Il pense à l'Univers primordial, à la formation des particules et de la matière. Puis aux quasars, aux galaxies, aux trous noirs. Il pense aux milliards d'étoiles se groupant en milliards de galaxies. Deux mille milliards de galaxies, contenant chacune deux cents milliards d'étoiles et des centaines de milliards de planètes, et parmi elles des milliards peut-être qui accueillent une forme de vie, aussi isolée dans l'univers immense que l'humanité.

Syméon Claudex allonge la foulée. Il pense à la Terre, petite planète rocheuse autour d'une petite étoile dans une petite galaxie, parmi des milliards. Il pense aux quatre milliards et demi d'années d'existence de la Terre. Et aux deux milliards d'années de vie des eucaryotes. Syméon se dit qu'il ne parvient même pas à concevoir le temps qu'il a fallu pour qu'apparaissent les premiers poissons, il n'y a qu'un demi milliard d'années. Et qu'il ne peut même pas concevoir les centaines de millions d'années du règne des dinosaures. Il pense à leur extinction. À cinq extinctions des espèces. Aux primates, jeunes à peine de soixante millions d'années. Et aux hominidés (seulement dix millions d'années).

Comme tout cela a pris du temps, se dit Syméon Claudex dont le souffle devient plus court. Il se dit que les civilisations humaines sont dans l'Univers comme les cailloux qu'il foule. Il pense que l'écriture n'a que trois mille ans d'âge, mais que l'immense majorité de tout ce qui a un jour été écrit a disparu en poussière.  Syméon pense aux milliards d'êtres humains qui ont vécu et sont morts depuis l'invention de l'écriture. Il y en a tant qu'on ne parvient pas à concevoir un tel nombre, se dit-il. À toutes ces années de vie, aux repas, aux mouvements, aux sentiments. Il pense aux millions de cultures apparues et disparues. Aux civilations tombées. Aux cités en ruines. Il pense aux milliards d'humains vivant en même temps que lui sur cette planète et qu'il ne connaîtra jamais. Il pense qu'il ne sait rien de ses arrières-grands-parents, et presque rien de ses grands-parents. Il se dit que dans trois générations ses descendants ne sauront rien de lui et ne songeront jamais à son existence. Et qu'il en va de même pour des milliards d'humains.

Les muscles des cuisses de Syméon Claudex deviennent douloureux, le voici qui trébuche.

Il pense à tous les livres dont il ne sait rien. Tous ceux qui ont été écrits et sont tombés dans l'oubli. En cinq cents ans. En cent ans. En vingt ans. En cinq ans. En six mois. À tous ceux qui viennent de paraître et dont tout sera oublié dans cent ans. Dans dix ans. Dans six mois. Il pense à ce que valent ces livres pour sept milliards d'humains qui seront tous morts dans cent ans et oubliés dans deux siècles. L'air lui brûle les poumons.

Les muscles de ses jambes semblent prêts de se déchirer.

Il pense à son roman minéral, oublié de l'humanité avant même d'avoir été lu. Il entrevoit soudain son roman minéral flottant dans le vide intersidéral. Une poussière si infime qu'il ne parvient même pas à concevoir son insignifiance.

Écrire un roman : ce qu'il faut de vanité pour accomplir un acte aussi vain !

Le Runner_littéraire s'est appuyé contre un arbre et tente de reprendre sa respiration. Tous ces efforts pour à peine quatre kilomètres, se dit-il, quelle inutilité ! 

FIN

mardi 13 août 2019

Syméon Claudex pense à tout ce qu'il ne fera pas.
Il ne relira pas les épreuves de son roman minéral avec fébrilité, craignant de laisser passer, par fatigue ou distraction, une faute typographique.
Il ne discutera pas le choix de la couverture par l'éditeur, lequel aurait sans doute choisi la photo d'une falaise de granit, tandis que Syméon aurait préféré une couverture neutre, sans titre, d'un gris venteux.
Il ne signera pas des dizaines d'exemplaires en service de presse pour des journalistes incultes et des libraires indifférents.
Il ne cherchera pas pour chacune ou chacun une formule originale destinée à leur donner l'illusion de son respect.
Il ne dépensera pas le montant de son à valoir en un seul passage à la caisse du supermarché hard-discount.
Il ne boira pas de mauvais vin avec le public rare et sénile d'une librairie defraichie qui l'aura invité sur l'insistance de son éditeur.
Il n'attendra pas la recension de la critique influente du Monde des Livres, laquelle ne paraîtra pas, ladite critique ne lisant pas les services de presse de son éditeur.
Il ne lira pas la critique assassine et lapidaire d'un blogger suivi par soixante-trois mille sept cent vingt fans.
Il ne décrochera pas le téléphone pour s'entendre dire qu'il est attendu sans délai au restaurant pour se voir remettre un prix prestigieux.
Il ne fera pas mine de le refuser pour ensuite l'accepter sous la pression de son éditeur.
Il ne répondra pas longuement à cette étudiante qui souhaitait consacrer une thèse à son roman minéral sous le titre : "La plume légère comme une roche. La Révolution de et dans la Littérature par l'oeuvre de Syméon Claudex."
Il ne déclinera pas l'invitation à participer à cette émission de deuxième partie de soirée dans laquelle des écrivains passent pour des artistes en subissant les insultes d'autres d'écrivains encore plus mauvais qu'eux.
Il n'écrira pas de roman pour adolescents dans le seul but d'être payé pour intervenir en classe et espérer vendre son roman minéral aux parents de ses jeunes lectrices et lecteurs.
Il ne regardera pas l'adaptation télévisée de son roman minéral en série (huit saisons de douze épisodes de cinquante-deux minutes).

- Mais le plus frustrant, se dit Syméon Claudex, sera de ne pouvoir écrire un essai littéraire à clés que j'aurais intitulé "La Littérature comme on fend un crâne à la hache". 

lundi 12 août 2019

Sais-tu ce que j'apprends ? dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Armand Métamagnus est mort ! À son âge, je pensais à un accident, ou un drame quelconque, mais non ! Une simple crise cardiaque sur le pas de sa porte !

- Je sais. Ce type n'a jamais eu ni imagination, ni style.

dimanche 11 août 2019

Syméon Claudex remonte le col de son manteau, dissimulant aux regards la fausse barbe laborieusement collée sur ses joues. C'est pour une animation scolaire, a-t-il dit plus tôt à celle qui partage sa vie, je me suis grimé gentiment. N'ayant pu combler rapidement ses lacunes dans l'élaboration d'un récit criminel plausible, il s'est muni d'une simple hache qu'il tient cachée sous un pan du manteau. Au portail, tout se déroule le mieux du monde, et une camionnette le masque entièrement pendant qu'il franchit la porte cochère. Son cœur bat la chamade mais il se met néanmoins à gravir l'escalier désert qui mène au domicile d'Armand Métamagnus. Il halète. Un instant, une pensée fuse dans son esprit: Et si je partais? Mais il ne se répond pas et se met à écouter l'appartement de Métamagnus : un silence de mort. Il ne supporte plus, tend lentement la main vers la clochette et il sonne.

Syméon Claudex se demande s'il trouvera le courage de faire s'abattre la hache sur le crâne d'Armand Métamagnus. Il se sent pâlir, mais l'idée du sang giclant de la boîte crânienne de ce voleur de révolution minérale le ragaillardit. Trente secondes plus tard, il sonne à nouveau, plus fermement. Pas de réponse.

Oh ! Mais cher Monsieur, vous n'êtes pas au courant ? dit la voisine de palier. On a emmené Monsieur Métamagnus à l'hôpital ce matin ! Oui, une attaque cardiaque fulgurante ! Un stress brutal, d'après le médecin. Ses doigts étaient encore crispés sur le contrat d'édition qu'il venait de recevoir !

samedi 10 août 2019

Oui, la déception est grande, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Mais pour la surmonter, je ne connais point meilleur remède que l'action. Écrire, en quelque sorte, un nouveau chapitre. À défaut de pouvoir y mener la Révolution que j'imaginais, il m'est venu l'idée ambitieuse de débarrasser la Littérature de certaine nuisance. Le ton sera résolument pamphlétaire, radical et même, si j'ose dire, définitif — l'objet de mes flèches assassines ne s'en relèvera pas.

- Et quel est cette fois ton angle d'attaque ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Encore et toujours la suppression du personnage, bien sûr !

vendredi 9 août 2019

Tout de même, dit à Syméon Claudex sa conscience, occire un homme, n'est-ce pas réagir à la déception avec un peu trop d'enthousiasme ?

- Par sa faute, mon œuvre restera lettre morte, dit Syméon Claudex. Œil pour œil, pilon pour pilon !

jeudi 8 août 2019

C'est l'enchaînement des causes et des effets, qui m'inquiète, pense Syméon Claudex. La mise en place d'une mécanique implacable n'est pas simple. Il faut tout prévoir. Imaginer les chausse-trappes. Les fausses pistes. Il faut savamment dissimuler le mobile et construire un alibi solide. Le récit doit être opaque et pourtant mener sans détour l'enquêteur dans une impasse. Si seulement j'avais lu plus de romans noirs, pense encore Syméon Claudex, si seulement j'en avais écrit un, plutôt que de m'obstiner en pure perte à révolutionner la Littérature ! Ah ! je serais bien plus à l'aise aujourd'hui pour mettre au point l'assassinat d'Armand Métamagnus, l'usurpateur !

mercredi 7 août 2019

TIMON.
— Je te battrais volontiers, mais j'infecterais mes mains.

 APEMANTUS.
— Je voudrais sur ma parole les faire tomber en pourriture.

TIMON.
—  Arrière, engeance de chien galeux ! — Je me meurs de colère à te voir vivant; — je me trouve mal à ton aspect.

APEMANTUS.
—  Puisses-tu crever !

TIMON.
Arrière, fastidieux coquin ! je regrette de perdre une pierre pour toi.
(Il lui jette une pierre)

APEMANTUS.
Brute ! 

TIMON.
Misérable !

APEMANTUS.
Crapaud !

TIMON.
Coquin, coquin, coquin ! 


Non, bien sûr que je ne rumine pas mon échec, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Je lis quelques pages de Shakespeare. Rien de tel que le génie de son œuvre pour tuer en moi tout sentiment négatif !

mardi 6 août 2019

Syméon Claudex fait défiler sur l'écran de l'ordinateur les pages de son roman minéral. Il pense à Robespierre. À Lénine. À Fidel Castro. Se seraient-ils laissés déposséder de leur révolution avant même d'avoir pu la mener ? En auraient-il fait défiler le plan dans le regret de leur aventure non avenue, se répétant les titres des chapitres glorieux qu'ils voulaient offrir au monde ?

- Certes non ! dit Syméon Claudex. Il n'y a pas loin de la table des matières à l'exécution sommaire !


lundi 5 août 2019

"Et vous comprendrez donc, Monsieur Claudex, que votre roman semblerait bien pâle et desséché à côté du texte révolutionnaire de Monsieur Armand Métamagnus que nous publierons à la rentrée sous le titre Empêtré à Pétra sans Château Pétrus, et qui constituera le premier volume de son manifeste minéral de l'Internationale Élémentariste. En vous souhaitant bonne continuation, bla bla bla."

- Ah évidemment ! enrage Syméon Claudex. Quand sur la révolution minérale, je fais souffler le vent, d'aucun préfèrent verser du vin ! Noyer la radicalité dans la piquette, voici comment périt la Littérature !

dimanche 4 août 2019

Ton intégrité, dit un ami à Syméon Claudex, t'interdira sans doute de laisser publier ton roman minéral sur un malentendu. Le sens à donner à l’œuvre n'est-il pas le privilège exclusif de l'auteur ? Pour le dire ainsi : son âme ? Doit-il s'en laisser déposséder par un éditeur ou des lecteurs ? Sans cela, où les auteurs fixent-ils la limite de leur droit moral ? 

- En règle générale, à cinquante mille ventes.

samedi 3 août 2019

"Votre pastiche de roman post-postmoderne, cher Monsieur Claudex, est absolument brillant. Vous êtes parvenu à singer à la perfection la vanité du concept, l'absence totale de style véritable révélée par une forme de charlatanisme langagier, et vous avez parfaitement mis en scène la mort du roman, un roman qui se complaît dans l'ennui le plus absolu. Et cette métaphore du vent, omniprésent comme un gaz digestif et malodorant planant sur l’œuvre, quelle trouvaille ! Et cette absence de personnage, mettant en évidence le vide abyssal de votre idée-canular de "roman minéral"... Quelle réussite ! C'est pourquoi nous souhaiterions vivement le publier dans notre collection "Je pense donc je ris". Il vous faudrait cependant le ramener à 80 pages, car la collection accueille des textes courts, et par ailleurs, vos 150 dernières pages sont moins drôles. Je vous prie, la bla bla..."

- Les grands auteurs sont aussi de grands opportunistes, se dit Syméon Claudex. Si je ne reçois pas de meilleure offreje pourrai toujours faire semblant qu'ils ont vu juste !

vendredi 2 août 2019

Imaginons cette alternative purement théorique, dit Syméon Claudex. M'auto-éditer et être lu par des millions de personnes, ou être édité par une grande et riche maison d'édition mais être mon seul lecteur ? Et bien je choisi la deuxième possibilité. Rien ne pourrait me faire plus plaisir que de toucher un à valoir en sachant que je fais un lecteur heureux !

jeudi 1 août 2019

Si j'ai songé à l'autoédition ? répond Syméon Claudex à un ami. Quelle horreur ! L'homme amoureux et rongé de désir songe-t-il à la masturbation ?

mercredi 31 juillet 2019

"Malgré une impressionnante débauche de vents, votre roman manque de souffle."
"Qu'il n'y ait pas de personnage, passe encore ; mais il eût tout de même fallu un auteur."
"La langue est pâteuse comme si le responsable de ces lignes avait marché la bouche ouverte dans une tempête de sable."
"Votre roman minéral tient ses promesses : il est aussi lourd qu'un bloc de granit".
"Les moments où vous parlez de falaises sont les seuls où l'on pourrait percevoir une issue à ce cauchemar, si seulement il était possible de se jeter de leur sommet."

Je m'écris à moi-même des lettres de refus, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, car le style de celles que je reçois de la part des éditeurs est épouvantable. Il faut vraiment tout faire soi-même !

mardi 30 juillet 2019

"Cher Monsieur Claudex,
Nous avons bien reçu votre manuscrit, que nous ne publierons pas. Sa lecture nous a donné la sensation de marcher en tongs dans un désert de dunes. Nous avons la triste tâche de vous informer que l'architecture du texte s'est effondrée sous le poids des parpaings que vous appelez chapitres. Les phrases s'écoulent à la manière d'une fontaine pétrifiante. Bref, il nous a laissés de marbre. En d'autres termes : votre roman minéral nous a miné le moral.
Veuillez, bla bla bla."

La marque des véritables écrivains, dit Syméon Claudex, c'est cette faculté à imposer leurs thèmes jusque chez ceux qui ne les comprennent pas.

lundi 29 juillet 2019

Je ne suis pas inquiet, ce n'est qu'une question de temps, dit Syméon Claudex à un ami. Un éditeur finira, tôt ou tard, par s'apercevoir que mon roman minéral introduit la révolution de et dans la Littérature, et s'empressera de le publier.

Mais à tous les coups, ce sera une publication posthume dans une collection patrimoniale. Je sens que mon œuvre est en avance sur son époque, et mon succès en retard sur ma vie.

dimanche 28 juillet 2019

Il faut l'esprit fort, et fermes les principes, pour se lancer dans le grand bouillon éditorial ! dit Syméon Claudex à un ami. Moi par exemple, jamais je ne cèderai sur l'essentiel. À cet égard, un bon éditeur se reconnait selon moi à deux critères fondamentaux : son désir de publier mon roman minéral et le montant de l'à valoir. Le reste n'est que littérature.

samedi 27 juillet 2019

"Cher Monsieur Claudex,
Nous vous remercions pour l'envoi de votre manuscrit. Malheureusement, il ne correspond pas à notre ligne éditoriale.
Nous vous souhaitons, bla bla bla."

Non mais quelle honte ! s'écrie Syméon Claudex. Et ce torchon vient des éditions du Seuil ! Un plagiat scandaleux de la lettre d'Antoine Gallimard ! Eh bien, je suis soulagé de ne pas publier dans cette maison. Confier mon roman minéral à des gens sans la moindre créativité, et moins encore d'honneur ? Jamais !

vendredi 26 juillet 2019

Ponge. Valéry. Romains. Modiano. Gide. Queneau. Kundera. Mishima. Proust. Camus. Yourcenar. Calet. Huysmans. Gary. Perros. Mallarmé. Quignard. Apollinaire.

J'en passe et des meilleurs ! dit Syméon Claudex. Je comprends mieux pourquoi ce Monsieur Gallimard considère que mon roman minéral ne correspond pas à sa ligne éditoriale. Une bande de vieilles statues pétrifiées ! Y introduire mon œuvre risquerait bien de dynamiter ce mausolée granitique !

jeudi 25 juillet 2019

Lucidité et humilité : comme je tiens ces qualités en haute estime ! dit Syméon Claudex à un ami. Vois cet Antoine Gallimard comme il connaît ses limites et sait les reconnaître ! Publier mon roman minéral n'est pas dans ses moyens.

"Il ne correspond malheureusement pas à notre ligne éditoriale."

Et ce sens du compliment malgré l'humiliation !

mercredi 24 juillet 2019

"Cher Monsieur Claudex,
Nous vous remercions de nous avoir soumis votre manuscrit. Il ne correspond malheureusement pas à la ligne éditoriale de notre maison.
Bien à vous,
pp. Antoine Gallimard
(signature illisible)"


- Bien sûr que non, ce n'est pas une lettre-type, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Ne perçois-tu pas toute la tristesse qui émane de ces mots simples ? Ces quelques lignes chargées de regrets sont un aveu : mon roman est trop en avance pour cette maison. Ce Monsieur pp Gallimard me signifie ceci : "Syméon, vous êtes l'avant-garde !"

mardi 23 juillet 2019

Plutôt que d'attendre en te morfondant, dit un ami à Syméon Claudex, pourquoi ne te mets-tu pas à l'écriture d'un second roman ? Ne serait-ce pas grisant d'aller d'un bon pas au-devant de ton destin ?

- Un peu comme recommencer à se saouler alors qu'on n'a pas dessaoulé de la veille ?

lundi 22 juillet 2019

La prochaine étape, dit à la télévision l'expert en aérospatiale, c'est évidemment un voyage habité vers Mars. Nous ne tarderons plus à envoyer une mission scientifique sur la surface rocheuse, caillouteuse et poussiéreuse de la planète rouge. Mais attention ! Un tel voyage n'est pas si simple ! Songez qu'il faudra, selon que nous choisirons d'utiliser peu ou beaucoup de carburant, entre 180 et 258 jours de voyage ! Peut-être même plus !

- Et bien voilà ! Un écrivain qui aurait envoyé un manuscrit à des éditeurs aurait tout le temps de faire un aller-retour vers Mars avant même de recevoir une réponse de leur part, se dit Syméon Claudex. Il pourrait même pousser jusqu'à Alpha du Centaure !

dimanche 21 juillet 2019

Neil Armstrong sort du module lunaire et descend un à un les barreaux de l'échelle jusqu'à n'être plus qu'à quelques centimètres de la surface. Ses mouvements sont lents et rendus difficiles par son scaphandre blanc. Alors qu'il s'apprête à sauter du dernier échelon pour toucher enfin le sol du satellite sans vie, il paraît hésiter, et tourne comme il le peut la tête pour regarder le paysage.
- Houston, le sol semble couvert d'une fine poussière, dit-il.
Le voici qui pose enfin un pied sur la surface.
- Houston, mon pied s'enfonce d'un ou deux centimètres dans une poussière fine, mais le sol est stable.
Armstrong lâche les montants de l'échelle. Il a désormais les deux pieds posés sur la surface. Il baisse lentement la tête. On entend sa respiration à travers le micro dont on a équipé le scaphandre.
- Houston, dit-il, la poussière sur le sol est étrange. Je vais regarder de plus près.
Sa respiration s'accélère comme il tente de se courber vers le sol.
- Houston, ce... ce n'est pas de la poussière... on dirait... oui, on dirait des lettres ! Ce sont des lettres de notre alphabet ! C'est incroyable, il y en a des milliards de milliards ! Minuscules et complètement désordonnées ! Houston, cela n'a absolument aucun sens, je... attendez... on dirait... mais oui ! le sol est entièrement couvert de ce qui semble être un roman ! D'un certain... Syméon Claudex. Houston, je vais faire quelques pas...
Le silence sidéral est total. Neil Armstrong s'éloigne du module de quelques mètres. Puis, soudain, sa voix ressurgit par-delà le ciel immense.
- C'est un grand pas pour Syméon Claudex, mais un tout petit pas pour la Littérature, dit-il, tirant Syméon Claudex de son sommeil.

- Quelle saloperie, la pleine lune ! dit-il à celle qui partage sa vie.

samedi 20 juillet 2019

Syméon Claudex et celle qui partage sa vie regardent les images du premier voyage lunaire de l'être humain, que toutes les télévisions rediffusent en boucle pour célébrer le cinquantenaire de l'événement. Derrière les gesticulations des astronautes, la lune offre un paysage désolé, sec et poussiéreux. Ne semblent dépasser du sol que des rochers. Si on fait un instant abstraction de cette présence humaine incongrue, on ne peut que ressentir une profonde solitude, et le vide, et l'ennui minéral un ennui d'une pureté venue du fond des âges.

- C'est fou, j'ai l'impression d'être plongée dans ton roman !
- Je m'en doutais. Inutile alors d'espérer vendre les droits d'adaptation cinématographique qui paierait pour un simple remake ?

vendredi 19 juillet 2019

Cette mine déconfite. 
Ces yeux rougis. 
Ce regard absent, perdu sur le mur aveugle où s'écaille la peinture. 
Ce pyjama, alors qu'il est seize heure. 
Et ces bouteilles aussi vides d'alcool que ton haleine en est pleine.
Faut-il vraiment que cette attente de réponse te plonge dans de tels tréfonds ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.

- Je m'ennuyais. J'ai cru bon de relire des extraits de mon roman minéral. C'est catastrophiquement mauvais.

jeudi 18 juillet 2019

Et que dire de ces auteurs qui ont empli jusqu'à la gorge leur roman de personnages, se dit Syméon Claudex, et qui, espérant vainement une réponse à l'envoi de leur manuscrit, les passent et repassent en revue, un par un, des semaines durant, comme on ressasse une idée fixe, en se demandant lequel d'entre eux, par trop antipathique, irréaliste ou falot, est responsable du silence assourdissant des éditeurs...

mercredi 17 juillet 2019

Une chance d'avoir choisi d'écrire un roman minéral ! se dit Syméon Claudex. Si j'avais écrit un roman aquatique, j'aurais maintenant l'impression de flotter seul sur un océan sans vie. 

Or je nage mal et j'ai le mal de mer !

mardi 16 juillet 2019

La puissance de mon écriture me surprend moi-même, se dit Syméon Claudex. Voici que la réalité prend la forme du monde minéral que j'ai créé. Ainsi cette longue attente d'une réaction éditoriale ressemble à la plaine aride balayée par un vent froid, où ne roulent que quelques cailloux secs et j'y erre tel un spectre. C'est à croire que si je n'y ai mis aucune vie, c'est afin d'y éprouver moi-même la plus profonde solitude.

lundi 15 juillet 2019

Être éditeur, dit Syméon Claudex à un ami, ce n'est rien d'autre que faire commerce de l'oubli. Rééditer des œuvres tombées dans l'oubli en les présentant comme des trouvailles; faire oublier qu'on a publié le roman nullissime d'un auteur minable; oublier ses propres convictions si un coup éditorial se présente...

Pire encore ! Tant tarder à répondre à l'envoi de mon manuscrit que j'aurai oublié ce dont il s'agit quand arrivera enfin leur courrier !

dimanche 14 juillet 2019

Quelle terrible histoire ! dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. On a retrouvé, dans son appartement, assis dans son fauteuil, le cadavre momifié d'un homme mort depuis plus de dix ans ! Un drame de la solitude !

- Tu parles ! Encore un auteur qui attendait désespérément une réponse éditoriale à son manuscrit !

samedi 13 juillet 2019

Quelle souffrance est-ce là ? demande Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Dois-je ainsi me sentir ignoré par l'objet de mes attentions les plus nobles ? Voici que je mets mon âme en perce sur le papier afin que s'en écoule le suc le plus précieux et, tandis que je leur en fais l'offrande, les Dieux et leurs prêtres ne m'opposent que le silence ? Voici que j'expose à leurs yeux le bouleversement de l'art littéraire et nul ne se précipite pour m'en rendre grâce ? Ô cruels ! Faut-il que ma solitude soit pareille à celle du poète transi d'amour qui, du fond de son tourment, fait jaillir les vers les plus purs pour faire don de son être et ne reçoit en retour que mépris et dédain ?

- Comment, que dis-tu ? Dis, as-tu pensé à racheter des croquettes pour le chat ? La pauvre bête est affamée !

vendredi 12 juillet 2019

Qu'espères-tu recevoir comme réponse à un tel tombereau d'injures ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Ce sont des éditeurs, tout de même !

- Justement ! Seuls les termes d'un contrat d'édition pourraient être plus insultants à mon égard !

jeudi 11 juillet 2019

Dis-donc, la grande andouille à tête de lard ! Face moche qu'a pas l'air d'avoir inventé la machine à séparer l'eau de l'huile ! Ton grand-père peut bien s'être coincé les prunes dans les ressorts de son sommier, j'en ai rien à dégorger que t'aies pas eu le temps de me répondre ! Tu vas lever ta boîte à mou de veau de la paillasse qui te sert de bureau et publier mon livre, fichu gangster dégénéré !

- Avec un petit éditeur indépendant, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, comme tu le vois, on peut se permettre d'être un peu plus familier.

mercredi 10 juillet 2019

J'apprends incidemment qu'en patois normand, le terme vesouille désigne la force, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, et par extension, le courage au travail.

Ainsi peut-on dire à Monsieur le directeur des éditions du Seuil la phrase suivante : Eh oh ! Noble Jean-Foutre, c'est pas trop dur de les avoir à la retourne ? Tu manques de vesouille, Gélatine ? Tu vas te décaler et me répondre, oui, feignasse ?

mardi 9 juillet 2019

Sais-tu, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, que la lampotte est un mollusque gastéropode qui s'incruste par succion sur les rochers des côtes maritimes ? Ainsi, on traite de lampotte une personne aux réactions lentes et maladroites. 

Par exemple : Dis-donc, Gallimuche, espèce de lampotte, tu vas lâcher tes romans de plage et te décider à me répondre, oui ?

lundi 8 juillet 2019

Tu dois te préparer à recevoir des réponses défavorables, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Il faut bien penser que quelques éditeurs seront insensibles aux charmes de ton roman.

- Je suis d'accord, et c'est pourquoi j'ai acheté un imposant dictionnaire des injures !

dimanche 7 juillet 2019

On pense à tort que les grands écrivains consomment de l'alcool pour y puiser l'inspiration et soigner leurs penchants dépressifs, dit Syméon Claudex, alors qu'il est surtout utile après avoir écrit plutôt que pendant :  il faut alors en faire couler beaucoup pour remplir les longues heures à attendre une réponse d'un éditeur !

samedi 6 juillet 2019

Deux jours d'attente déjà, dit Syméon Claudex. L'alternative m'apparaît clairement : soit mon génie les stupéfie, soit les colis se sont perdus.

vendredi 5 juillet 2019

Certains mystiques plongés dans des profondeurs méditatives aux portes de la mort. De rares astronautes flottant seuls dans l'espace. Ou quelques alpinistes suspendus au-dessus d'insondables crevasses, dit Syméon Claudex à un ami. Oui, vraiment peu nombreux sont celles et ceux qui ont fait l'expérience du vide avec la même intensité que l'écrivain contraint à l'attente infinie d'une réponse des éditeurs !

jeudi 4 juillet 2019

Écrire exige de l'écrivain l’opiniâtreté, dit Syméon Claudex à un ami, mais à peine le roman est-il écrit et envoyé aux éditeurs qu'il faut troquer l’opiniâtreté pour la patience, voire : le détachement. C'est l'heure pour moi de rentrer en moi-même. De me donner tout entier à la contemplation. De partir en exil intérieur, dans le désert de l'attente, faisant du calme ma patrie. Comme je plains les écrivaillons dont l'impatience anxieuse est proportionnelle à leur nullité ! Le roman est écrit ! Le voici qui mène son chemin. Rien ne sert de perdre son sang froid. Il s'imposera bien à temps et j'attends dans la sérénité. Calme et tranquille comme une grenouille.

Mais si dans une semaine je n'ai pas reçu de réponse, ils vont m'entendre !

mercredi 3 juillet 2019

"Refaut...gruhkiber... ? ...po..li...nesuque... adekim ? adekin ? adekiu?"

Non, désolée, mais je ne parviens pas à déchiffrer ce que tu as écrit, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Je t'accorde qu'un manuscrit est sympathique, quoique démodé, mais tu aurais tout de même pu faire en sorte qu'il soit lisible par les éditeurs auxquels tu le destines !

- Allons bon ! C'est bien plus lisible que la plus grande part de la littérature contemporaine !

mardi 2 juillet 2019

Voilà, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, j'y suis presque.

Syméon Claudex regarde les dix-huit enveloppes alignées sur la table, correctement adressées et timbrées, prêtes à emporter les lettres d'accompagnement soigneusement écrites et signées. Il ne reste qu'à glisser dans chacune un exemplaire de son roman minéral. Il ne peut cependant se résoudre à joindre un compuscrit : ce mot est bien trop horrible. Il aurait pu, à la rigueur, se satisfaire d'un tapuscrit, mais les mécanismes fatigués de l'ancestrale machine à écrire s'oxydent à la cave. Il est, juge-t-il, inimaginable que son roman minéral pénètre le monde de l'édition sous une forme aussi vulgairement abâtardie qu'une impression jet d'encre.

Rien de tel qu'un bon vieux manuscrit ! dit-il plein d'enthousiasme, tandis qu'il cherche dans sa trousse son vieux stylo-plume et ses cartouches d'encre bleu-roi, avant d'ouvrir une première rame de papier vierge.

lundi 1 juillet 2019

Envoyer son roman aux maisons d'édition, se dit Syméon Claudex, c'est un peu comme tirer un pénalty dans un but défendu par une trentaine de gardiens. La seule chance de marquer, c'est qu'ils se tapent dessus.

dimanche 30 juin 2019

Et tu comprendras que malgré les ponts d'or qui me sont offerts par ces vieilles badernes de Gallimard, Le Seuil et Grasset, c'est sur la modernité et la vista d'une structure indépendante comme la tienne que se pose mon estime. Nous ne partageons pas seulement le goût d'une littérature révolutionnaire, mais aussi ses modes de production. Comme tu édites dans ton deux pièces, j'écris sur la table de la cuisine. Bref, mon roman minéral sans personnage, sans dernier chapitre et sans titre est pour toi (fais-moi connaître ton offre). Camarade éditeur, je t'envoie mes meilleures amitiés, etc.

- Non, bien sûr que je ne le connais pas, dit Syméon Claudex, mais l'édition indépendante, c'est une grande famille !

samedi 29 juin 2019

En vous envoyant mon roman minéral sans personnage, sans dernier chapitre et sans titre, je prends des libertés avec les maisons Gallimard et Seuil qui souhaitent toutes les deux le publier et m'ont l'une et l'autre dit que les éditions Grasset, que vous dirigez, sont bien trop frileuses et dépassées pour s'intéresser à mon travail. Je ne peux me convaincre de la pertinence de leur opinion, et je dois dire que je préfèrerais grandement vous voir publier mon livre. Dans l'attente de votre réponse, etc.

- Bien des maisons d'édition auraient depuis longtemps disparu, dit Syméon Claudex, si elles n'étaient pas assises sur des gisements inépuisables d''orgueil démesuré et de jalousie malsaine.

vendredi 28 juin 2019

"Je ne saurais trop vous dire, Monsieur le Directeur Général, à quel point j'ambitionne de publier ce livre aux éditions du Seuil. J'ai en effet reçu une offre empressée et, ma foi, très avantageuse de Monsieur Gallimard, mais ma préférence va à votre belle maison, et nous savons, vous et moi, ce qu'il faut penser de votre concurrent, d'ordinaire bien moins visionnaire que vous. Convaincu que vous ne laisserez pas ce petit monsieur vous faire l'affront de publier mon roman minéral sans personnage ni chapitre final ni titre, je vous prie de recevoir, etc."

- La psychologie de l'éditeur, dit Syméon Claudex, est, figure-toi, plutôt simple à manier.

jeudi 27 juin 2019

"Je vous prie donc de trouver ci-joint, Monsieur Gallimard, mon roman minéral sans personnage, sans dernier chapitre et sans titre qui, je le crois, ne vous laissera pas indifférent. Bien cordialement, etc."

- C'est ce qui s'appelle, dit Syméon Claudex, une offre qu'on ne peut refuser !

mercredi 26 juin 2019

La Révolution ne peut se permettre d'être faible, disait Lénine. Ou Robespierre. À moins que ce ne fut Fidel Castro. Peu importe. La Révolution doit être sûre d'elle-même, ajoutait-il. Ferme sur ses principes. Faire respecter sans faillir les lois qu'elle édicte. La Révolution a toujours raison. Toujours ! Siempre ! disait Che Guevara. La Révolution ne concède rien à ses adversaires. Elle ne fait pas d'erreur, ou plutôt, ses erreurs sont partie de la Révolution elle-même et à ce titre ne peuvent être remises en question. Oui, la Révolution requiert une force d'âme à toute épreuve. Rien ne doit la faire dévier de sa route. La Révolution ne peut en aucun cas être corrigée.

- Raison pour laquelle, Camarade, dit Syméon Claudex, je n'apporterai aucune correction à mon premier jet !

mardi 25 juin 2019

Le jeune David faisait face au géant Goliath. Il pouvait sentir dans l'air l'intensité de l'instant. Dans la paume de sa main gauche se nichait une seule pierre, ronde et parfaitement lisse, qu'il faisait tourner et retourner sans cesse sur elle-même. De sa main droite pendait la lanière de cuir de sa fronde. Il n'y aurait pas de deuxième chance, il le savait. Un seul tir, une seule pierre à jeter du premier coup au visage de son ennemi. David respira profondément. La pierre se chargeait de sa rage. Quelles que furent ses caractéristiques minérales, elle faisait désormais corps avec son esprit. Ce tir unique ne pouvait être que son chef d’œuvre. David arma la pierre dans la fronde et la fit tournoyer, gardant les yeux fixés sur le géant Goliath. La pierre dans la fronde prenait de la vitesse, tournait et tournait. Soudain, elle fut projetée vers Goliath.

- Pas de relecture ni de réécriture, dit Syméon Claudex, je mise tout sur mon premier jet !

lundi 24 juin 2019

Et donc, il n'y a pas de dernier chapitre ? Ça se termine comme ça, sur une vingtaine de pages blanches ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.

- Oui, je tiens à ce que les lecteurs se rendent compte de tout ce qu'ils ratent.

dimanche 23 juin 2019

Le silence qui suit Mozart est encore du Mozart, disait à peu près Sacha Guitry, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie

Partant, le vide qui suit les chapitre écrits de mon roman minéral est encore de moi ! CQFD ! L'absence de dernier chapitre n'empêche en rien de considérer mon roman minéral comme achevé ! Au contraire : cette absence finale le signe, puisqu'elle ne peut-être que de moi !

samedi 22 juin 2019

L'Univers contient la matière et l'anti-matière, dit le scientifique à la télévision

Ce qui est et ce qui n'est pas, en quelque sorte, se dit Syméon Claudex. Ainsi en va-t-il de mon roman minéral : il contient la dense matière littéraire et l'empreinte creuse d'un dernier chapitre inexistant.

- Est-ce à dire que ton roman est terminé puisque le dernier chapitre en est absent ? demande un ami à Syméon Claudex.
- Tout est relatif !

vendredi 21 juin 2019

Après avoir passé toute une journée à la tâche, Syméon Claudex a accouché de trois phrases qui semblent un début prometteur pour son dernier chapitre. Il est plus de minuit. C'est décidé, Syméon Claudex n'ira pas dormir. Il sent le vent gonfler ses voiles. Il se sent prêt à poursuivre toute la nuit l'aventure de l'écriture et, qui sait ? au matin, peut-être aura-t-il accumulé une matière suffisante pour considérer son chapitre en bonne voie d'achèvement ! Le voici donc phrasant des phrases comme un pommier des pommes, une poule des œufs, une mitraillette des balles, "des analogies bien banales", lui fait remarquer le policier qui vient d'entrer dans la cuisine et lit par dessus son épaule avant d'ajouter : "ça ne se passera pas comme ça, je vous le dis parce que c'est votre anniversaire, mais je vous laisse cinq minutes, fuyez par le jardin avant qu'ils ne viennent vous arrêter", ce que Syméon Claudex fait immédiatement, prenant juste le temps d'emporter dans sa course son ordinateur et un sabre qu'il décroche d'une cheminée qui vient de surgir sur son passage, tandis qu'il sent son cœur battre comme il se fraye un chemin à coup de lame dans l'épais tissus de lianes et de plantes tropicales qui poussent au fond du jardin, afin d'atteindre le mur sur lequel il pourra marcher discrètement pour quitter le pâté de maison et aboutir directement au port, insensible au filet de bave qui s'écoule de ses lèvres entrouvertes et s'accumule en flaque sur la table de la cuisine où sa tête endormie s'est posée.

jeudi 20 juin 2019

J'ai vu dans le train une jeune femme en larmes refermer un livre, dit Syméon Claudex à un ami, et elle a dit à sa voisine qu'elle était infiniment triste de le terminer. Peut-être est-ce pour cette raison que je ne parviens pas à achever l'écriture de mon roman minéral. C'est une manière d'éviter à mes lectrices la tristesse d'en avoir terminé la lecture.

Je n'aime pas voir souffrir les gens par ma faute !

mercredi 19 juin 2019

Quelques fois, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, j'ai envie de tout balancer, achever ce roman minéral sur une phrase unique et audacieuse, puissante, qui engloberait à elle-seule toute l'histoire de la littérature, et la concentrerait dans les dernières lignes de mon roman minéral.

- Et à quoi penses-tu ?
- Quelque chose comme : "Ils roulèrent heureux et eurent beaucoup d'éclats."

mardi 18 juin 2019

Autre solution, dit un ami à Syméon Claudex, décrire minutieusement ta maison en en faisant une grotte, les meubles des rochers de tuf, les objets des obsidiennes, du marbre et du quartzite. Et toi-même et les membres de ta famille, des pierres selon ton goût. Ce serait bien le diable si tu n'en tires pas de quoi tenir un dernier chapitre !

- Le renouveau de l'autofiction par une tentative de lithofiction, en somme.

lundi 17 juin 2019

Mais la voilà, la solution pour écrire ton dernier chapitre ! dit un ami à Syméon Claudex. Un montage aléatoire de phrases prises çà et là dans ton roman minéral et mélangées à des éléments venus de dépliants publicitaires pour des matériaux de construction, des services de cimenterie et des dépliants touristiques de spéléologie ! Et tu laisses le hasard décider !

- L'idée est intéressante. Cela me permettrait de plus de rejoindre l'avant-garde en créant un nouvel OuLiPo : Ouvroir de Lithorature Potentielle !

dimanche 16 juin 2019

C'est un usage bien établi, dit un ami à Syméon Claudex, pour le romancier frustré de se réfugier dans le vers classique de triste facture. Ainsi, parce que tu ne parviens pas à achever ton roman minéral, te sens-tu libre d'achever la Poésie ?

samedi 15 juin 2019

Las ! Le chaud Sirocco soufflait sous le portique
Projetant à la ronde des pierres comme cartouches
Qu'il lançait, déchaîné, sur les murs granitiques
Hurlant aux roches : "à la fin de l'envoi, je touche !"

- Et voilà, ça finit comme ça, dit Syméon Claudex à un ami.
- Laisse-moi te dire, mon vieux, que ce style m'énerve : je crains pour ton roman que cela le desserve !

vendredi 14 juin 2019

Vraiment je te l'assure, quelle foutaise l'hypnose ! Courbatures et douleurs en guise de viatique, mais pas le moindre mot au cahier ne se pose, cet escroc et son art ne sont que pathétiques, dit Syméon Claudex à un ami. Au travail ! Il me faut clore en apothéose mon roman minéral, j'en deviens frénétique : assez perdu de temps à chasser les névroses, je sens la langue en moi m'imposer sa rythmique !

jeudi 13 juin 2019

Votre méthode semble une étrange tactique ! Rentré chez moi poisseux comme l'homme au kolkhoze, je me demande bien où va votre pratique : je n'écris rien de plus et ne sens pas la rose !

- Hum, oui, certes, Monsieur Claudex, dit l'hypnotiseur, mais avec cette quatrième séance, vous allez voir, nous allons trouver le chemin pour sortir de l'impasse !
Bien. Vos paupières sont lourdes, lourdes.
Clap !
Oh ! Dites-donc ! Toutes ces pierres que vous avez sorties du sol ! Ne feraient-elles pas un joli sentier pavé à travers le potager ?

mercredi 12 juin 2019

Cela ne marche pas et c'est problématique, dit Syméon Claudex, à écrire ce chapitre mon esprit s'ankylose. Je parle étrangement, d'une langue rythmique, mais de pierre et de vent pas un mot ne s'impose.

- Hum, oui, hé hé, hum, mais rassurez-vous, Monsieur Claudex, avec cette troisième séance, nous allons creuser plus profondément dans vos doutes, dit l'hypnotiseur.
Alors.
Vos paupières sont lourdes, lourdes.
Clap ! 
Parfait.
Oh ! Voyez cette pioche à l'entrée du jardin ! Vous voici pris d'une envie irrépressible de retirer les grosses pierres qui encombrent le sol du potager !

mardi 11 juin 2019

Toujours rien, dit Syméon Claudex à l'hypnotiseur.

 -  Un peu de patience, dit l'hypnotiseur, nous allons procéder à une deuxième séance. Détendez-vous ! Vos paupières sont lourdes, lourdes ! Bien ! Vous allez m'obéir ! Quand je frapperai dans les mains, vous serez sous mon contrôle !
Clap !
Parfait !
M'entendez-vous ?
Très bien !
Vous êtes pris d'une envie irrépressible d'écrire une grande œuvre poétique ! En alexandrins, avec des rimes en "ose", comme dans hypnose, et en "tique", comme dans hypnotique.

lundi 10 juin 2019


Allons allons, laissez-vous aller, faites-moi confiance. Vos paupières sont lourdes, très lourdes, dit l'hypnotiseur à Syméon Claudex. Dans un instant, quand je frapperai dans les mains, vous serez sous mon contrôle, et nous ouvrirons les portes qui maintiennent enfermé le dernier chapitre de votre roman minéral. 
Attention ! 
Clap ! 
Voilà, à partir de maintenant vous m'obéissez totalement ! 
Clignez des yeux ! 
Très bien.
Maintenant vous êtes une poule et vous picorez des grains sur le sol !
Parfait.
Bien. Avant de débloquer votre chapitre, Je vais vous dicter mon autobiographie. Je commence, prenez note : "Longtemps j'ai hypnotisé de bonne heure."

dimanche 9 juin 2019

Supporter qu'un rival que je méprise réussisse là où j'échoue, pense Syméon Claudex, n'est-ce pas la meilleure preuve que je suis bel et bien un grand écrivain ?

samedi 8 juin 2019

Figurez-vous que pas plus tard qu'avant-hier, tandis que je participais - pour m'entretenir - à une petite course sympathique de dix kilomètres - que j'ai terminée, je le dis en passant et en toute humilité, à la onzième place sur 751 participants, une performance, sans fausse modestie, aussi inattendue que méritée - tandis, disais-je, que je participais à cette course, tranquillement, sans forcer, à petites foulées, si j'ose dire, eh bien, soudainement, j'ai trouvé la manière de terminer un roman que je suis en train d'écrire, comme ça ! Entre deux foulées ! La solution s'est imposée à moi ! Et le soir-même, j'écrivais d'une traite le chapitre final ! Et je suis donc trKRZZZZKRKKRKR....................

- Ne pouvais-tu simplement changer de chaîne ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, pendant que Syméon achève de piétiner l'écran brisé de la télévision dont le visage satisfait d'Armand Métamagnus a disparu.



vendredi 7 juin 2019

Le cœur battant, Syméon Claudex lit le titre du petit article en cinquième colonne à la une du journal : "Courir après les mots".

"La phrase et la foulée semblent sortir du corps avec une même élégance. Les spectateurs des dix kilomètres de la vieille ville ont eu l'occasion, trop rare, d'observer par l'exemple l'adage bien connu : un esprit sain dans un corps sain. Parmi les concurrents de la course se trouvait en effet un écrivain de renom en quête d'un record personnel à la hauteur de son succès de librairie. L'écriture d'un roman et la course contre soi-même sont deux épreuves à surmonter (quand les épreuves ne sont pas à relire !) qui demandent à l'athlète comme à l'artiste de puiser dans ses ressources pour franchir la ligne d'arrivée, et cela malgré les doutes et les douleurs."

C'est un peu ampoulé mais ce n'est pas mal, pense Syméon Claudex. Voyons comment ils rendent compte de ma chute.

"Et c'est au terme d'un effort digne de son immense talent de conteur que Armand Métamagnus a franchi la ligne d'arrivée en onzième position - une performance inattendue mais méritée, nous a-t-il confié."

jeudi 6 juin 2019

Imagine un peu, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, ce qu'un critique littéraire aurait pu dire de toi si tu étais un écrivain connu : « Syméon Claudex se casse les dents sur son nouveau roman minéral. » Alors qu'en terminant 742e sur 751 participants à la course, aucun chroniqueur sportif ne va ironiser sur cette chute denticide !

- N'avoir pas même l'occavion de me faire des vennemis, f'est abfolument humilant.

mercredi 5 juin 2019

Syméon Claudex allonge la foulée. Il aperçoit la ligne d'arrivée de la course. Ces dix kilomètres pourraient ne jamais finir, se dit-il. Il repense à son roman minéral, et à la difficulté d'écrire le dernier chapitre. Ne jamais terminer ce roman, ne jamais cesser de l'écrire, pense-t-il. Comme cette course de dix kilomètres : il pourrait passer la ligne d'arrivée et poursuivre la course à grande foulées, courir et courir encore, dans la perfection des mouvements, et même, dans l'élégance des gestes. Comme les coureurs au ralenti sur la plage dans "Les Charriots de feu", pense-t-il. Ou comme Bernard Moitessier ne bouclant pas son tour du monde et poursuivant la navigation sans fin, dans un acte de poésie sublime et de liberté absolue. Ne pas clore ce roman minéral et ne pas cesser la course. Quel geste grandiose ce serait, se dit-il encore, et je ne... Mais il est interrompu dans sa réflexion car, à quelques mètres de la ligne, le voici qui trébuche sur une grosse pierre saillant du sol et, après quelques mouvements pour conserver son équilibre, s'effondre dans la poussière du chemin en se cassant une dent sur le piquet soutenant la banderole d'arrivée.

mardi 4 juin 2019

Absolument, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, j'estime qu'au moment d'en écrire le chapitre final, il en va de la cohérence de mon roman minéral d'être pétrifié par l'enjeu !

lundi 3 juin 2019

Le plat de fenouil à la crème ; les travaux de la maison ; les romans de Jonathan Franssen ; les films après 22 heures ; les bouteilles de Bordeaux : le dernier chapitre de ton roman minéral.

Comme tu le vois, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, je fais la liste des choses que tu ne parviens pas à terminer.

dimanche 2 juin 2019

Lorsque je termine l'écriture d'un roman, dit un célèbre romancier à la télévision, s'achève aussi l'histoire d'amour que je vivais, car mon œuvre et ma vie sont à ce point liées que je dois arriver neuf et libre en librairie, disponible pour mes lectrices.

- Je te rassure, tu n'as rien à craindre, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. En mettant un point final à mon roman minéral, je ne vais tout de même pas me séparer de ma seule lectrice potentielle !

samedi 1 juin 2019

Et après tout, se demande Syméon Claudex, qu'y a-t-il donc de si désirable dans l'acte de terminer d'écrire un roman ? Tant qu'il n'est pas achevé, au moins a-t-on l'espoir qu'un jour il sera lu, alors que, à peine tracé le mot fin, la triste réalité nous rattrape : personne n'a très envie de le lire, pas même l'auteur pour en corriger les fautes d'orthographe.

vendredi 31 mai 2019

L'humanité écrit son dernier chapitre mais des millions de jeunes gens descendent dans la rue pour qu'elle ne le fasse pas. Quant à moi, dit Syméon Claudex, je dois bien constater que personne ne manifeste pour m'inciter à écrire le point culminant de mon roman minéral, le sommet de son ambiance révolutionnaire ! Inculte jeunesse, qui marche pour le climat mais pas pour le climax !

jeudi 30 mai 2019

Il est possible que le dernier chapitre de l'humanité provoque le rire chez les dieux et les extraterrestres, dit Syméon Claudex à un ami, tandis que mon dernier chapitre pourrait ne provoquer rien d'autre que l'ennui chez les rares humains qui le liront. 

Le rire des dieux ou l'ennui des humains : je ne sais pas ce qui est préférable.

mercredi 29 mai 2019

Les guerres, les massacres, les famines, les terres submergées par les eaux et les peuples noyés, les épidémies et les populations dévastées par le retour de la peste : je n'en aurai pas l'usage pour mon dernier chapitre, et je laisse tout ça au dernier chapitre de l'humanité, dit Syméon Claudex à un ami. Des effets spéciaux pour masquer le manque d'idées narratives, très peu pour moi !

mardi 28 mai 2019

Et le comble, dit Syméon Claudex à un ami, c'est qu'à la fin du dernier chapitre de l'humanité, j'en fais le pari, il ne restera qu'un monde minéral et sans vie ! Se faire plagier par l'espèce humaine tout entière et n'avoir plus personne à qui faire un procès !

lundi 27 mai 2019

Je ne veux pas sembler défaitiste, dit Syméon Claudex à un ami, mais quand je vois le rythme de destruction de l'environnement et celui de la disparition des espèces, je me demande si l'humanité n'aura pas écrit son dernier chapitre avant que j'achève celui de mon roman minéral.

dimanche 26 mai 2019

Non, je n'écrirai pas le dernier chapitre à l'ordinateur !, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Je viens de regarder la sixième vidéo de cet écrivain auto-entrepreneur brésilien et il est formel : "il faut savoir faire violence au monde qui te freine pour réaliser tes objectifs".

C'est décidé, j'impose ma volonté par la force : je vais brutalement le taper à la machine !

samedi 25 mai 2019

Tout notre être et tous nos gestes préexistent, dit l'écrivain auto-entrepreneur brésilien dans la cinquième vidéo de coaching bien-être et réussite, et tout ce que nous créons est déjà écrit dans le grand livre du temps. 

- Non et non, Monsieur Claudex, dit la bibliothécaire, je n'ai aucune référence avec le titre "Le grand livre du temps", et je vous rappelle que, de toute manière, les copies partielles ou complètes de nos ouvrages sont totalement interdites !

vendredi 24 mai 2019

La quatrième vidéo de l'écrivain auto-entrepreneur brésilien semble avoir été conçue tout exprès pour Syméon Claudex. La créativité qui est en vous, c'est votre capacité à saisir les particules de génie qui flottent autour de vous, répète Syméon Claudex comme un mantra, tandis qu'il ferme hermétiquement toutes les fenêtres et portes de la maison pour éviter que ne se perdent des particules géniales de son dernier chapitre.

jeudi 23 mai 2019

Ce que vous avez à réaliser est en vous, dit l'écrivain auto-entrepreneur brésilien dans une troisième vidéo. De la même manière qu'il suffit d'enfoncer deux doigts dans la gorge pour se libérer d'une indigestion, Syméon Claudex se demande par lequel de ses orifices agir pour faire sortir le dernier chapitre.

mercredi 22 mai 2019

Syméon Claudex regarde une deuxième vidéo de l'écrivain auto-entrepreneur brésilien qui lui offre un autre enseignement : toute action humaine doit trouver sa place cosmique, et chaque chose doit ainsi trouver sa place. Syméon passe ensuite l'après-midi à déplacer son ordinateur du bureau à la cuisine, puis de la cuisine à la salle à manger, puis de la salle à manger à la chambre, puis de la chambre au bureau, et dans chaque pièce d'un coin de table à un autre, à la recherche désespérée de la place cosmique idéale pour écrire le dernier chapitre de son roman minéral.

mardi 21 mai 2019

Syméon Claudex regarde sur internet une vidéo d'un écrivain auto-entrepreneur brésilien spécialisé en coaching bien-être et réussite. Il en retire un enseignement : aujourd'hui est le premier jour du reste de sa vie, en déduit un second : ce dernier chapitre est le premier chapitre du reste de son œuvre, et se sent immédiatement écrasé par l'ampleur de la tâche.

lundi 20 mai 2019

Syméon Claudex mesure toute la rigueur et l'intégrité que requiert le moment. Écrire un dernier chapitre est un chemin truffé de pièges. Tant de romans, de films et de séries n'ont offert à la postérité qu'une fin indigne ! Tant de récits, et non des moindres, admirablement construits au demeurant, se sont achevés dans la facilité et les effets de manche ! Tant d'autrices et d'auteurs, et pas les moins doués, se sont fourvoyés en diluant la fin de leur intrigues au moyen d'inutiles rebondissements de dernière minute et de tours de passe-passe !

- En tout cas, j'en fais le serment, dit Syméon Claudex, aucune des roches de mon roman minéral ne ressuscitera le troisième jour pour disparaître ni vu ni connu !

dimanche 19 mai 2019

Écrire est une aventure, et les embruns du large ne me font pas peur, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, mais je suis aussi un père de famille responsable ! C'est pourquoi je t'informe que j'ai souscrit une assurance vie dont tu serais la bénéficiaire si un sort funeste m'imposait de décéder avant d'avoir pu terminer le dernier chapitre de mon roman minéral. Je viens de payer la prime de cinq cents euros.

- Combien penses-tu gagner en droits d'auteur avec ton roman ?
- Oh, un demi millier d'euros, dans le meilleur des cas !
- L'opération ne me semble pas très profitable.
- Oui, bon, je suis un littéraire !

samedi 18 mai 2019

Te souviens-tu de cette clairière que nous avions découverte au cours d'une marche en montagne ?, demande Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Nous marchions depuis des heures sous un soleil de plomb, et nous avions traversé une forêt d'altitude, et, en nous égarant, il y eut soudain ce jardin sauvage tapissé d'herbe tendre et peuplé de framboisiers chargés de fruits, ombragé par endroit, où nous nous sommes allongés et avons dormi, gavés de baies sucrées et juteuses, dans le désir de ne jamais quitter pareil éden, bercés du chant des oiseaux et baignés de tiédeur.

Et bien le moment qui précède l'écriture du dernier chapitre ressemble exactement à ça.

vendredi 17 mai 2019

Syméon Claudex a passé une longue soirée avec deux amis. Divers apéritifs ont été bus. Trois ou quatre bouteilles de vin blanc de Bourgogne et de Loire ont suivi. Puis, six bouteilles de Morgon. Un magnum d'un formidable Marsannay a été bu contre toute raison. Et tout cela, presque sans manger. L'ivresse est irréfutable. Un petit digestif ?, demande un ami à Syméon Claudex.

- Et bien, tu vois, choisir de terminer cette soirée merveilleusement écrite par une grappa, un whisky, un rhum, une wisnówka ou un armagnac, c'est exactement la même chose que de choisir comment terminer mon roman minéral : un mauvais choix peut donner la nausée et tout foutre en l'air.

jeudi 16 mai 2019

Il me semble que mon roman minéral serait encore plus révolutionnaire s'il ne comprenait pas de dernier chapitre, dit Syméon Claudex à un ami. Ou plutôt, si le dernier chapitre disparaissait au moment précis où le lecteur s'apprête à le lire. L'avant-dernier-chapitre deviendrait de facto le dernier, et serait donc effacé sous les yeux du lecteur. L'antépénultième chapitre deviendrait à son tour le dernier, et serait donc lui aussi effacé, et ainsi de suite, chaque chapitre devenant le dernier, en conséquence de la disparition de celui qui le suivait, et disparaissant aussitôt, jusqu'au premier chapitre.

- Mais alors, l'entièreté du livre disparaîtrait sous les yeux du lecteur!
- Oui, la révolution serait que le lecteur ne saurait jamais comment se termine le livre, et en plus, serait privé de tout ce qu'il a lu auparavant.
- Mais ce serait extrêmement décevant !
- C'est souvent le cas, avec les révolutions.

mercredi 15 mai 2019

Syméon Claudex écrit les premières phrases de son dernier chapitre. Les idées apparaissent naturellement, comme des fleurs au bord d'un chemin qu'il suffit de cueillir. Sous ses doigts agiles, les paragraphes naissent, au riche lexique, au rythme soutenu. À peine le temps de penser et déjà dix pleines pages sont écrites. En les relisant, Syméon Claudex sent poindre un doute qui sans tarder se change en malaise. La salive s'épaissit dans sa bouche et sa gorge s'assèche. Des frissons lui parcourent l'échine : ces phrases qu'il relit ne sont pas celles qu'il vient d'écrire. Il reprend la lecture du chapitre depuis le début, et des sueurs froides le prennent, et des tremblements tandis qu'une douleur se met à tordre ses entrailles : tout ce qu'il a écrit semble avoir été remplacé. Plus exactement : les phrases et les paragraphes muent au fur et à mesure qu'il les écrit. Soudain, il comprend : son dernier chapitre se change spontanément en premier chapitre ! Syméon Claudex tremble de peur et des nausées le secouent. Il veut se rassurer en relisant les chapitres précédents, mais quand il remonte dans le document, il ne semble plus rien y avoir avant les premières lignes du chapitre en cours. Tout ce qui précédait s'est effacé, ne lui laissant sous les yeux que deux cent cinquante pages totalement vides et blanches. Une voix intérieure et sépulcrale résonne dans son crâne : "Tout est à refaire ! Tout est à refaire !", et un long rire sardonique monte auquel Syméon Claudex n'oppose qu'un cri d'effroi qui le réveille brutalement, en sueur, épouvanté.

Et voilà, un cauchemar, dit celle qui partage sa vie, je t'avais prévenu ! Je te l'avais bien dit, d'arrêter de te resservir de la lasagne en disant "allez, encore une dernière, juste une dernière assiette !"

mardi 14 mai 2019

Est-ce là la malédiction de l'écrivain ?, se demande Syméon Claudex. Devoir s'infliger la torture d'écrire tout un livre quand le seul dernier chapitre suffirait ?

lundi 13 mai 2019

Ou alors, dit Syméon Claudex, comme ça :

Le chapitre s'ouvre sur une veine d'émeraude prise dans une roche dure ; la vue se resserre, on s'approche de plus en plus de l'émeraude ; description détaillée des reflets de la lumière ; la vue grossit encore ; on pénètre dans l'émeraude, de plus en plus profondément ; la vue se resserre de plus en plus, on entre dans l'infiniment petit ; une masse sombre apparaît, la vue se resserre sur elle, on y pénètre ; peu à peu des formes apparaissent ; ce sont des galaxies ! il y en a de plus en plus ; le cadre se resserre sur l'une d'elle, on y pénètre ; milliards d'étoiles ; l'une d'elle grossit, grossit et grossit encore, autour d'elle des planètes, et l'une de ces planètes grossit, et grossit et grossit encore ; des mers, des continents, des villes ; la vue se resserre encore et encore ; une rue; la vue grossit ; deux hommes parlent :

"- Si ça se trouve, tu vois, tout notre univers n'est qu'un grain de poussière infime à l'intérieur d'une gigantesque émeraude, elle-même infime sur une planète aride et sans vie !
- Oh ta gueule, Raymond, t'es bourré ! Viens, on va en prendre un dernier chez Charlot !"

dimanche 12 mai 2019

Ou bien, dit Syméon Claudex, peut-être comme ceci :

Vue sur les roches depuis une position en surplomb ; puis le cadre s'élargit, comme si on voyait les pierres depuis une montgolfière en pleine ascension ; les roches deviennent de plus en plus minuscules et la courbe de la planète commence à apparaître ; on s'éloigne encore et il devient impossible de distinguer les roches, et la planète apparaît dans son ensemble ; puis, deux énormes doigts apparaissent en gros plan.

"- Regarde ce grain de sable, dit une voix, imagine que c'est peut-être tout un monde à lui seul !
- Oh, ça va Jérémie, arrête de faire le malin, jette ça et va te laver les mains, on passe à table !"

samedi 11 mai 2019

Écrire un dernier chapitre est encore plus excitant que d'en écrire un premier, dit Syméon Claudex à un ami. Tout est possible ! Moi, démiurge de mon œuvre, je peux choisir de lui faire prendre une toute nouvelle direction alors même qu'elle touche à sa fin ! J'étudie les diverses options qui s'offrent à moi. 

Celle-ci par exemple : le dernier chapitre pourrait s'ouvrir sur la description détaillée d'une chambre d'hôpital ; puis le plan s'agrandirait, on verrait des médecins discuter au chevet d'un patient inconscient relié à des machines ; on s'approcherait ; on entendrait leur discussion :

"- Quelle terrible condition, Docteur Greatflox, que cet état végétatif qui dure depuis trois ans !
- Comme c'est étrange... On dirait vraiment qu'il dort... Je me demande si il rêve et si oui, à quoi ?"

vendredi 10 mai 2019

Au matin de l'écriture du dernier chapitre de mon roman minéral destiné à porter la Révolution de et dans la Littérature, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, je me retourne et regarde le dur labeur accompli au fil des mois, et le moment me semble bien choisi pour me poser deux questions :
Premièrement, n'aurais-je pas dû intégrer tout de même l'un ou l'autre personnage ?
Deuxièmement, ne faudrait-il pas tout réécrire avec des escargots à la place des pierres ?

jeudi 9 mai 2019

Voilà, dit Syméon Claude à celle qui partage sa vie, ce chapitre est terminé. Écrire les deux suivants devrait aller assez vite – c'est tout l'avantage d'une totale immobilité des minéraux. Il me suffit de faire, pour chacun, un copier/coller intégral du chapitre que je viens d'achever.

Il y aura trois fois de suite le même chapitre ? 
Absolument pas ! Celui-ci commence par « Ce soir-là », le suivant s'ouvre par « Cette nuit-là », et le troisième par « Ce matin-là » !

mercredi 8 mai 2019

Si je comprends bien, dit un ami à Syméon Claudex, la radicalité de ton roman provoquera, chez les lecteurs, une pulsion, pour ainsi dire, de révolte. À peine le livre posé, ils descendront, d'un pas leste, impatients, dans les rues, ton livre à la main, ils auront compris, puissance de la littérature !, que les roches du roman ne sont qu'une métaphore, ô combien subtile, de la résistance, et, exaltés, libres enfin, ils s'en iront mettre à bas la finance internationale, cette harpie, infernale et cruelle, qui les oppresse !

- Oui, enfin, dans un premier temps, si ça leur donnait envie d'utiliser moins de virgules, ce serait déjà très révolutionnaire.

mardi 7 mai 2019

Le rubis écarlate caché dans un rocher
Loin du sol sablonneux aux conditions labiles
Ignorait des cailloux le sort bien malaisé
—  C'en est toujours ainsi des puissances immobiles !

Qui dit révolution de la littérature dit chant révolutionnaire, décrète Syméon Claudex en levant un poing rageur vers sa bibliothèque. C'est pourquoi la fin de mon roman minéral sera écrite en alexandrins, afin de pouvoir être chantée aux avant-postes de la révolte contre le vieux monde !

lundi 6 mai 2019

Ne crains-tu pas de perdre tes lecteurs avec cette radicalité extrême dans les derniers chapitres?, demande un ami à Syméon Claudex.

- Absolument pas ! Tout l'intérêt de ce roman minéral sans personnage, c'est qu'il ne restera déjà plus aucun lecteur à perdre passé le deuxième chapitre !

dimanche 5 mai 2019

Je ne sais pas ce qui est le plus ennuyant, dit Syméon Claudex à un ami, bien avancer dans l'écriture d'un roman où tout est immobile, ou piétiner dans celle d'un roman plein d'action.

samedi 4 mai 2019

Pour les quatre derniers chapitres, j'ai décidé qu'il me fallait être beaucoup plus radical, dit Syméon Claudex à un ami. Mon roman minéral ne peut s'achever dans la demi-mesure et le renoncement aux idéaux révolutionnaires !

- Comment faire ? Il n'y a que des pierres et du vent !
- C'est simple : le vent est tombé. Quatre chapitres d'immobilité totale !

vendredi 3 mai 2019

Syméon Claudex inscrit le mot FIN sur la dernière page de son manuscrit. Il l'envoie à une dizaine d'éditeurs parmi les plus prestigieux de l'histoire littéraire. Alors qu'il s'attend à devoir patienter quelques temps avant d'obtenir une réponse, Syméon Claudex reçoit un appel téléphonique du grand éditeur Jean Landeau qui lui dit qu'il vient de lire d'une traite son roman minéral, qu'il le trouve extraordinaire et qu'il veut absolument le publier. On t'appelle sur une autre ligne, lui dit avec excitation celle avec qui il partage sa vie. C'est le grand éditeur Christophe Bargan qui lui dit qu'il veut absolument publier ce roman minéral. Deux e-mails arrivent à ce moment : deux jeunes maisons d'édition, aux catalogues aussi novateurs qu'exigeants demandent à le rencontrer de toute urgence. Une des deux maisons propose de créer tout exprès une collection "Révolution de et dans la Littérature". Finalement, Syméon Claudex accepte la proposition de Jean Landeau, qui l'invite dans une très grand restaurant parisien pour signer ses services de presse. Plusieurs jours avant sa publication, le roman minéral de Syméon Claudex fait la une de plusieurs magazine spécialisés et de deux quotidiens nationaux qui en font une avant-critique élogieuse. Le livre sorti, il se retrouve immédiatement dans la première sélection du Goncourt, du Médicis et du Prix de la Page 111. Lors d'un passage dans l'émission télévisée La Bouquinerie du Dimanche, il noue une relation ambiguë et prometteuse avec Chiara Mastroianni qu'il croise dans les couloirs et qui lui avoue son admiration.

Allez allez, assez rêvassé ! dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Sors de ce fauteuil, au boulot ! Plus que quatre chapitres !

jeudi 2 mai 2019

—  Peux-tu me dire, Syméon, pourquoi ce camion décharge dans notre jardin des dizaines de sacs de gravier, de sable du Rhin, de sable jaune, plusieurs plaques de marbre, cinquante kilos d'ardoise et plusieurs blocs de pierre bleue ?
—  C'est qu'il me reste quatre chapitres à écrire pour terminer mon roman minéral.
—  Je ne vois pas le rapport.
—  Je craignais de manquer d'inspiration.

mercredi 1 mai 2019

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!!!
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—  — 

Le compte y est ! Commencer un nouveau chapitre, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, est beaucoup moins stressant quand on voit clair. C'est pourquoi je commence toujours par faire l'inventaire de mes besoins en ponctuation.

mardi 30 avril 2019

Enfant martyrisé ! Adolescent humilié ! Baste !, dit un ami à Syméon Claudex. Il est temps de prendre ta revanche sur le destin, Syméon ! Temps de faire taire tous ces imbéciles qui n'ont pas su voir en toi l'auteur de talent ! 

- Tu as mille fois raison ! Voilà les paroles dont j'avais besoin ! Je vais de ce pas donner le coup de collier nécessaire à terminer mon roman minéral et à lancer la révolution de et dans la littérature !
- À vrai dire, je pensais plutôt que tu pourrais révéler sur les réseaux sociaux que tu es le véritable auteur de "Les oliviers de la bastide des Templiers sous l'orage".

lundi 29 avril 2019

Bon, tu n'as pas été aimé dans ton adolescence, dit un ami à Syméon Claudex. Soit. Mais les blessures de jeunesse ne font-elles pas les grands romans?

- Pour mon roman minéral, mieux vaut alors me souvenir de mon enfance, répond Syméon Claudex. Les autres enfants avaient pour habitude de me lancer des cailloux.

dimanche 28 avril 2019

Si je résumé, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, à l'adolescence, tu étais impopulaire, les filles se riaient de toi, et tes professeurs détestaient ton travail.

- Oui, j'ai toujours su que j'étais de la trempe des grands auteurs.

samedi 27 avril 2019

Et j'ai aussi revu mon vieux professeur de littérature, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, qui, lui, se souvenait très bien de moi. Il m'a dit que mes dissertations l'avaient profondément ennuyé et qu'elles étaient souvent creuses et pontifiantes, mais qu'on y devinait l'écrivain que j'allais devenir.

vendredi 26 avril 2019

C'est formidable ces retrouvailles, dit le chirurgien cardiaque, il faudra remettre ça ! Où diable serons-nous dans dix ans ? Moi, peut-être bien dans un grand hôpital américain ! Et toi, au milieu de tes lodges au Kénya ! Et toi, dans la Sillicon Valley ! Et toi, tu dessineras les villes spatiales ! Quant à toi, Syméon, nous pourrons peut-être te trouver dans un bac de soldes chez les bouquinistes !

jeudi 25 avril 2019

C'est fou de voir combien les matières dans lesquelles nous excellions et les talents que nous avions à l'adolescence se sont exprimés dans nos professions, dit l'architecte. Moi, j'étais bon en dessin. Toi, tu étais fort en sciences et tu es chirurgien. Toi, tu étais sportif et intrépide et tu es aventurier. Toi, tu étais fort en math et en économie et tu es un brillant entrepreneur. 

Et toi, Syméon, tu étais invisible, et te voici écrivain !

mercredi 24 avril 2019

Syméon Claudex explique que son roman minéral est très ambitieux, qu'il a la ferme intention de mener la révolution de et dans la littérature, que l'écriture radicale est la seule voie possible de son existence au monde, pour le dire franchement, et que c'est tout son être qui se retrouve ainsi couché sur le papier. Pas simplement sa vie, non, mais son essence profonde. Oui, il peut le dire, ce roman minéral, c'est lui ! C'est une forme de mise à nu ! Et c'est pourquoi la réception du roman par le public sera pour lui une expérience fondamentale !

En même temps, dit le chirurgien cardiaque, c'est vrai qu'au Collège, tu étais plutôt du genre effacé, et même un peu invisible, non, Claudex? Un peu gris, je dirais. Tu ne faisais pas vraiment partie du groupe, en quelque sorte. Je ne parviens pas à me rappeler d'un cours avec toi. Je me trompe ou les filles des Dames de La Bénédiction t'avaient surnommé Le Moignon Branlex ?

mardi 23 avril 2019

—  Et toi ?
Je suis chirurgien cardiaque.
—  Oh ! Et toi?
—  J'ai une boîte qui produit des applis et qui imprime des organes en 3D.
—  Formidable ! Moi j'ai voyagé pendant quelques années, et maintenant j'organise des expéditions photographiques dans les forêts tropicales.
—  Impressionnant ! Moi je suis architecte, actuellement je construis un nouveau stade de cinquante mille places à Dubaï.
—  Quelle réussite ! Et toi, Syméon ?

C'est un bon entraînement pour bientôt faire face à la critique littéraire, se dit Syméon Claudex, tandis que s'éloignent, pris de fous-rires convulsifs, les autres participants à la réunion des anciens élèves du Collège Saint-Athanase-de-la-Crucifixion-Malheureuse.    

lundi 22 avril 2019

C'est ennuyeux, dit Syméon Claudex au vieil homme en costume de velours côtelé vert bouteille, je me sens encore plus confus quant à savoir ce que je dois faire après vous avoir consulté qu'auparavant !

- Oui, c'est généralement l'effet de la grammaire française.

dimanche 21 avril 2019

Voyez-vous, Monsieur Claudex, dit le vieil homme en costume de velours côtelé vert bouteille, la grammaire française est à la fois extrêmement rigoureuse et pleine d'exceptions. Je suppose que vous comprenez quel enseignement vous pouvez en tirer pour votre propre travail ?

- Que la rigueur de ma démarche minérale n'empêche pas de faire une exception en acceptant un travail purement lucratif ?
- Non, je veux plutôt dire que vous serez rigoureusement obligé vous vendre très souvent pour avoir la possibilité, exceptionnellement, d'écrire un roman minéral.

samedi 20 avril 2019

Métonymie : La phrase de Syméon Claudex était comme le roman minéral tout entier, accidentée et caillouteuse, on trébuchait en la lisant, et un vent froid soufflait sur la forme poussiéreuse.

Métaphore : La lecture du tome 2 de « Les oliviers de la bastide des Templiers sous l'orage » était comme une délicieuse promenade dans un jardin luxuriant de plaisirs.

Cher Monsieur Claudex, dit le vieil homme en costume de velours côtelé vert bouteille, le sort va trancher : votre problème est-il d'ordre métonymique ou métaphorique ? Alors, main droite ou main gauche ?

vendredi 19 avril 2019

1. Antithèse : Échec commercial sur la route du succès, tel est le roman minéral de Syméon Claudex.

2. Antiphrase : Ah ! "Les oliviers de la bastide des Templiers sous l'orage", quel accomplissement artistique!

3. Oxymore : Ce roman minéral à succès est une réussite.

Un simple tirage au sort, dit le vieil homme en costume de velours côtelé vert bouteille, devrait vous permettre d'en savoir plus sur la nature de vos contradictions. Allez-y, piochez dans le chapeau !

jeudi 18 avril 2019

Bien, Monsieur Claudex, dit le vieil homme en costume de velours côtelé vert bouteille, le sort a désigné la rubrique des règles qui concernent les propositions de but. Voilà qui est intéressant et devrait vous éclairer ! Par exemple, une de ces propositions est grammaticalement incorrecte : 

- Syméon Claudex écrit un roman minéral afin qu'il lui permette de gagner confortablement sa vie.
- Pour que sa carrière lui apporte la fortune, Syméon Claudex veut publier un roman minéral tous les trois ans.
- De peur qu'il perd son honneur, Syméon Claudex va pas gagné du pèze avec un roman ousqu'il y a des oliviers et des templiers.

mercredi 17 avril 2019

Je dois prendre une décision : écrire ce que j'aime ou vendre mon art au grand capital , dit Syméon Claudex au vieil homme en costume de velours côtelé vert bouteille. Perdu dans ma réflexion, j'ai pensé m'en remettre aux conseils d'une diseuse de bonne aventure, mais je n'y crois guère. Puis à l'oracle d'un somnambule, comme dans Les Copains de Jules Romains, mais je n'en connais pas. Les dés et tout autre moyen hasardeux me répugnent. Le marc de café : impossible, je bois du thé. Et les entrailles de poulet me dégoûtent. Est-ce genre de divination que vous pratiquez ?

- Certes non ! Ce sont là des méthodes que je réprouve, et il eût été bien triste que vous vous fussiez fourvoyé dans de telles galéjades ! Non, vraiment, je ne connais, pour résoudre votre cas de conscience, qu'un seul moyen fiable : la divination par la grammaire française ! Laissez-moi le temps de prendre mon exemplaire du Bon Usage de Maurice Grevisse !

mardi 16 avril 2019

Pour écrire un roman, il faut prendre du plaisir à déambuler dans le paysage de son livre, dit Syméon Claudex à un ami.

- Et tu préfères un paysage aride n'accueillant que des roches, du sable, de la poussière et du vent, au chaleureux décors d'un champ d'olivier, d'un jardin de verdure, auprès d'une femme séduisante dans l'ombre fraîche d'un pin parasol, tandis que mijote une ratatouille goûteuse et qu'un petit vin blanc frais de la treille refroidit lentement en attendant l'heure de l'apéro ?
- Que veux-tu, ma littérature a l'âme solitaire.

lundi 15 avril 2019

Des lames de schiste ? dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, après qu'il lui eût raconté sa mésaventure. Eh bien ! C'est un signe clair en faveur de ton roman minéral, non ?

- Un signe clair? Elle a soigné les plaies avec un baume désinfectant à l'huile d'olives !

dimanche 14 avril 2019

J'étais en train de me dire : quelle idée, aussi, de regarder des âneries sur Internet, dit Syméon Claudex à la vieille dame. Je me disais que rien ne vaut un parcours d'inspiration au grand air et qu'il n'y a que la course à pied pour m'ouvrir l'esprit et m'aider à y voir clair. C'est alors que j'ai glissé sur le chemin au moment où je passais devant chez vous, et que j'ai fait cette chute dans les cailloux.

- Je ne sais pas si cela vous a ouvert l'esprit, mais pour les mains, le travail est fait, dit la vieille dame en retirant une à une, patiemment, à la pince à épiler, les fines lames de schiste profondément enfoncées dans les paumes ensanglantées de Syméon Claudex.

samedi 13 avril 2019

Syméon Claudex décide de se recentrer. Retrouver le focus. Ne plus se disperser. Fixer la pierre translucide au cœur de son être de lumière, qui seule lui montrera la voie, selon les termes employés par ce néo-sage méditatif holistique, dont il a vu une interview alors qu'il s'était égaré sur Internet à la recherche d'informations sur les changements de direction nord-nord-est de certaines bises sur le bassin rhénan.

Il suffit, dit le tutoriel vidéo, de fermer les yeux sur le monde pour les ouvrir sur votre être intérieur. Regardez en vous, fixez le point lumineux que vous voyez : c'est la pierre translucide. Regardez bien : c'est la vôtre, elle n'appartient qu'à vous. Elle est unique !, dit la voix douce du néo-sage. Alors, quelle forme a-t-elle ?

- Zut, dit Syméon Claudex, une olive.



vendredi 12 avril 2019

Syméon Claudex a bien réfléchi : il va décliner la proposition du Ministre. Il renonce sans doute à une belle somme d'argent, mais c'est le prix de l'estime de soi. Il veut se consacrer corps et âme à son roman minéral et à la révolution de et dans la littérature. Cette œuvre seule coule dans ses veines et se nourrit de son être. Ce roman minéral est une représentation écrite de lui-même, des idées et concepts littéraires qui lui importent. Il ne se voit pas replonger dans ces ficelles racoleuses de trésor des Templiers et de saga romantique. Ce ne serait pas lui. À son âge, il n'a plus de temps à perdre : il doit se trouver en accord avec lui-même — et ces petites histoires faciles dépourvues d'ambition littéraire, vraiment, il n'y tient pas.

Comme vous voudrez Claudex, dit le Ministre, je vais trouver quelqu'un d'autre.
Quelqu'un d'autre ! Non mais dites ! Vous voulez mettre la vie des personnages que j'ai créés dans des mains inconnues ! Quand bien même ils sont laids et stupides, ce sont tout de même mes enfants !

jeudi 11 avril 2019

Tu pourrais proposer au Ministre un échange de bons procédés, dit un ami à Syméon Claudex. Tu lui écris un autre tome de "Les oliviers de la bastide des Templiers sous l'orage", et en échange, il intercède auprès de son éditeur pour qu'il publie ton roman minéral !

- Moi, être publié dans la même maison d'édition que ces romans honteux ? Jamais !

mercredi 10 avril 2019

Syméon Claudex n'a pas dormi de la nuit, tenu éveillé par la proposition du Ministre. Bien sûr, la perspective de gagner de l'argent sans trop d'effort est séduisante. Après tout, écrire une suite à "Les oliviers de la bastide des Templiers sous l'orage" ne devrait pas être très compliqué. Et cela lui permettrait de poursuivre ensuite son œuvre véritable et minérale dans un relatif et temporaire confort financier. Mais, se tournant et se retournant dans son lit, Syméon Claudex se demandait s'il supporterait l'idée de proposer à nouveau au public, fût-ce dans l'anonymat, un texte qui lui ferait honte.

- Que récolterai-je si, pour de l'argent, je renonce encore une fois à mes idéaux ?, demande Syméon Claudex à un ami.
- Une carrière littéraire, sans doute.

mardi 9 avril 2019

- Mon cher Claudex, dit le Ministre, mon éditeur réclame à corps et à cris le tome 2 de Les Oliviers de la Bastide des Templiers sous l'Orage. Va falloir vous y mettre, mon vieux !
- Impossible, je suis entièrement concentré sur mon roman minéral.
- Justement ! Je pensais à un trésor caché dans un mur en pierres sèches !

lundi 8 avril 2019

À chaque nouveau livre, l'écrivain voyageur achète un nouveau carnet, et l'écrivain de l'intime, une nouvelle paire de pantoufles.

- Et l'écrivain minéral ?
- Un nouveau marbre gravé "Regrets éternels" à poser sur la tombe de son œuvre.

dimanche 7 avril 2019

Les jours de doute, Syméon Claudex se dit qu'il pourrait lui-même écrire la critique de son livre : "Un roman minéral écrit sur le sable : ce que le vent ne balayera pas, la marée de l'oubli s'en chargera."

samedi 6 avril 2019


"La distance entre eux rendait le premier silex malheureux comme une pierre. Le deuxième silex, quant à lui, était indifférent car il avait un cœur de pierre."

- Le sentiment est bien l'ennemi du roman minéral, se dit Syméon Claudex en interrompant sa relecture. Il le rend aussi incohérent que le discours d'un homme amoureux.

vendredi 5 avril 2019

En relisant la scène où les silex s'entrechoquent, Syméon Claudex n'est pas satisfait. Jamais il n'aurait du faire se rencontrer plusieurs fois les silex. Un seul contact était bien suffisant pour érotiser le roman, au lieu d'insister encore et encore et encore sur les percussions. Syméon Claudex efface ce passage et le réécrit ; dans la nouvelle version, la tornade projette UNE FOIS les silex l'un contre l'autre, ce qui provoque UNE étincelle qui disparait aussitôt dans le vent, et les silex retombent au sol sans plus aucun contact.

- C'est fou ! Un moment d'inattention et je me vautrais dans le sentimentalisme !

jeudi 4 avril 2019

Les bourrasques étaient si violentes qu'elles soulevaient les pierres. Les petits morceaux de roches tournoyaient et le vent les jetaient brutalement au sol ou sur les falaises. Une tornade se forma et des éclats de silex furent emportés. Un changement brusque de direction de la colonne tourbillonnante projeta l'un sur l'autre deux gros éclats de silex. La puissance du jet les fit s'entrechoquer si vivement que des étincelles apparurent. Plusieurs fois, le vent les reprit et les lança avec force, et ces rapides va et vient les faisaient buter l'un sur l'autre, buter encore et encore et encore, provoquant au fil des chocs de grandes gerbes d'étincelles aveuglantes. Heureusement, le monde était purement minéral et, en l'absence de brindilles de bois sec ou de papier journal, les étincelles stériles disparurent dans l'oubli. Puis le vent retomba et les silex furent abandonnés au sol, à jamais éloignés l'un de l'autre.

- C'est ce que tu appelles "érotiser la scène" ?
- Oui, ben, je ne vais pas les marier, non plus !

mercredi 3 avril 2019

Syméon Claudex explique à un ami qu'il faut, à ce stade du roman, un rebondissement spectaculaire pour tenir les lecteurs en haleine. Il doit faire monter la tension dramatique. Jouer avec les sentiments du public pour le mener vers un climax inattendu. Et pour cela créer de l’ambiguïté et le trouble. Pour tout dire : érotiser ce roman minéral.

- Et donc le vent souffle, et souffle, et souffle de plus en plus fort et là, bim ! Deux silex projetés l'un contre l'autre !
- C'est tout ? 
- Ça va faire des étincelles !

mardi 2 avril 2019

- Papa ! Papa ! Nous lirez-vous une histoire ce soir ? Cela fait si longtemps ! Vous ne pensez qu'à votre roman minéral !
- Mais c'est absolument faux, mes enfants ! Et je vais avec joie vous raconter une histoire ! Que diriez-vous du Petit Poucet ?

lundi 1 avril 2019

Syméon Claudex ressent le besoin de prendre un moment de respiration dans l'écriture de son roman minéral, car mener la révolution de et dans la Littérature peut s'avérer harassant. C'est pourquoi il a accepté la proposition d'une jeune revue locale d'écrire un texte court sur un personnage littéraire de son choix.

- C'est l'occasion de me changer les idées, dit-il à celle qui partage sa vie.
- Et quel personnage as-tu choisi ?
- Sisyphe !

dimanche 31 mars 2019

Clair comme de l'eau de roche. Gravé dans le marbre. Bâti sur du sable. Pierre qui roule n'amasse pas mousse. Il y a anguille sous roche. Malheureux comme une pierre. Je ne vous jette pas la pierre. Le marchand de sable est passé.

Quelle étrange obsession, pense Syméon Claudex, que celle de gâcher des expressions minérales en les fourrant paresseusement d'eau ou de vie de toute sorte !

samedi 30 mars 2019

- Tu n'es pas prêt de terminer ton roman minéral si tu hésites et doutes ainsi à chaque phrase !, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Dieu a douté pendant plusieurs milliards d'années avant de laisser le public lire la Bible. Et franchement, malgré ça, il a laissé passer beaucoup de bêtises !

vendredi 29 mars 2019

"Le Chlouc soufflait de plus belle ; une émeraude affleurait le sol."
Ou bien :
"Le Chlouc soufflait de plus belle ; une émeraude affleura le sol."

- Tu chipotes !
- Et le Chlouc alors ? Je suis à deux lettres de lui donner de l'importance !

jeudi 28 mars 2019

"Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable, les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable ; les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable. Les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable et les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable faisant les falaises se couvrir de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable... les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable, les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable ; les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable. Les falaises se couvraient de jaune." Non.

- Oui, dit à une amie celle qui partage le vie de Syméon Claudex, il a enfin commencé un nouveau chapitre. Touchons du bois : la fin est proche !

mercredi 27 mars 2019

Excuse ma curiosité, demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, mais si les pouvoirs littéraires du Scryptonien sont à ce point efficaces, pourquoi le Scryptonien n'a-t-il pas déjà terminé d'écrire son roman minéral ?

- Il n'a pas envie d'être repéré pour le moment, dit Syméon Claudex. Le monde n'est pas prêt pour un tel héros.

mardi 26 mars 2019

Parfois, les pouvoirs du Scryptonien lui pèsent, et son désir est alors d'y renoncer pour ne plus mener qu'une vie humaine, détachée des hautes exigences de l'écriture, libérée de la pulsion irrépressible d'utiliser son rayon orthographique ou sa super-oreille prosodique. Il n'aurait plus à redresser les erreurs grammaticales. Ne passerait plus ses jours et ses nuits à servir avec dévotion la Littérature en produisant des centaines de pages au style travaillé, ou des vers à la métrique précise.

- Et que deviendrait-il s'il n'écrivait plus ?

- Comme tout le monde : il publierait sur les réseaux sociaux des photos de livres avec une tasse de thé et des muffins.

lundi 25 mars 2019

Les pouvoirs du Scryptonien fascinent les humains.Tous et toutes veulent être ses amis, toutes et tous veulent le séduire. Il est l'archétype du fantasme. Sa poésie fait se pâmer les foules. On rêve d'être seul avec lui, de l'entendre lire ses écrits dans l'intimité d'une chambre. Alors, sa parole est d'or ! Alors, on le désigne comme un phare de la pensée !

Oui mais quand on le rencontre sous son identité humaine, dit Syméon Claudex, on ne voit en lui qu'un type blafard à grosses lunettes qui ne parle que de syntaxe et d'orthographe ! Tu parles d'une séduction !


dimanche 24 mars 2019

Cela faisait des heures que le Squamish tourbillonnait et se gonflait en tempête, gagnant de la puissance à chaque passage dans les fjords où, se glissant entre les hautes falaises, il prenait de la vitesse, puis tournoyait encore avant de s'engouffrer en furie dans les vallées encaissées. Rien, alors, ne pouvait lui résister, les parois friables s'effritaient sur son passage et des morceaux entiers de roc se détachaient, et projetés comme de simples grains de poussière, venaient se fracasser sur la lande ou s'enfoncer de plusieurs mètres dans le sol.


- Tu vois, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, écrire offre un pouvoir sans limite : faire souffler l'ouragan et soulever les roches est un jeu d'enfant pour le Scryptonien !
- À ce propos, il faudrait d'urgence emmener au parc à déchets les tuiles de l'ancien toit, ainsi que les vieux linteaux en pierres de taille.
- Oui, bon, oh, je suis pas Superman, hein !

samedi 23 mars 2019

Très vite le Scryptonien comprend qu'il ne peut exercer ses pouvoirs qu'en se fondant dans la population humaine. Ainsi chacune de ses apparitions conserve un caractère surnaturel et mystérieux. Le reste du temps, personne ne le reconnait derrière ses grosses lunettes et son costume trois pièces, et il peut mener une vie normale.

Et puis, dit Syméon Claudex, s'il ne se cache pas, on lui demande sans arrêt et corriger des textes, relire des mails et aider le fils du voisin à écrire son travail de fin d'études !

vendredi 22 mars 2019

La planète Scrypton était peuplée d'habitants possédant les mêmes pouvoirs que celui qui voyagea vers la Terre, mais tous n'étaient pas bien intentionnés. Il y eut, sur Scrypton, de nombreuses rentrées littéraires, et le sol devint pollué par les livres complètement idiots écrits par une partie de la population. On appela cette matière : Scryptonite. La scryptonite pollua tant la planète qu'elle provoqua son explosion. De grandes quantités de ces livres complètement idiots furent projetés dans l'espace, et beaucoup voyagèrent jusqu'à la Terre où ils tombèrent en pluie de météorites sur les tables des librairies. Attention ! Cette scryptonite est terriblement dangereuse pour le survivant de Scrypton ! Une simple exposition à la scryptonite affaiblit ses pouvoirs et, si elle se prolonge, peut le tuer !

C'est pourquoi, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, je te demanderai de ne plus laisser trainer sur mon bureau les livres que tes parents te prêtent.

jeudi 21 mars 2019

La planète Scrypton l'avait vu naître mais elle mourrait, et il avait dû la quitter pour trouver refuge sur Terre. Ses pouvoirs hérités de Scrypton en faisaient un être exceptionnel, demi-dieu parmi les humains. Il se rendit vite compte qu'il écrivait plus vite. Beaucoup, beaucoup plus vite. Un rayon orthographique sortait de ses yeux et corrigeait les fautes les plus subtiles commises par les mortels. Son souffle grammatical redressait tous les textes. Et sa puissance stylistique était incommensurable. Oui, l'enfant de Scrypton le savait : son destin était tracé.

- Devenir écrivain?, demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Non. Sombrer dans l'alcoolisme devant une page blanche.

mercredi 20 mars 2019

Et quand as-tu su que tu étais écrivain ?, demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.

- Mais je l'ai toujours su ! Déjà à l'école primaire, je méprisais ce qu'écrivaient les autres enfants de la classe !

mardi 19 mars 2019

La condition d'écrivain est des plus exigeantes, dit Syméon Claudex. Elle requiert avant tout de la lucidité, car l'écrivain sait, au plus profond de lui, qu'il est écrivain. Et il sait, tout aussi certainement, que ce qu'il écrit est nul. Mais la lucidité ne suffit pas, car pour oser soumettre son œuvre au jugement du public, il faut bien plus.


- Quoi donc ?
- Une absence totale de sens du ridicule.

lundi 18 mars 2019

Syméon Claudex s'est endormi dans le fauteuil vers deux heures du matin, sans voir la fin du troisième film. Il avait fermement décidé de profiter de l'absence de sa famille pour passer la soirée à travailler mais, après le repas, il s'était autorisé à s'asseoir dans le fauteuil quelques minutes pour digérer — et, malgré sa forte volonté de limiter l'intrusion des écrans dans sa vie, il avait allumé la télévision pour regarder le journal et se tenir au courant de l'évolution du monde, et il l'aurait éteinte s'il n'avait vu l'annonce de la diffusion d'une trilogie dont il s'était dit qu'il pouvait peut-être regarder le début du premier volet. Avant tout, il n'était pas sensé manger autant, et donc avoir besoin de s'asseoir dans le fauteuil pour digérer, mais puisqu'il était seul, n'était-ce pas l'occasion de se cuisiner un jambonneau au munster et d'ouvrir cette bouteille de Morgon, dont il avait décidé, il est vrai, de ne boire qu'un verre, ce dont il s'était rappelé trop tard alors qu'il ouvrait une deuxième bouteille.

- Mais tu as l'air épuisé, tu as travaillé toute la nuit ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Écoute, la Littérature requiert un engagement total et une volonté de fer !