dimanche 30 septembre 2018

Syméon s'est enfoncé dans le fauteuil. Il se sent mal. Dès qu'il n'est pas en position assise, son ventre se tord comme on le ferait d'une serpillère gorgée d'eau.

Syméon allume la télévision. C'est une rediffusion de "La Grande Librairie". Un écrivain qu'il n'identifie pas débite des banalités sur la création littéraire. Même lorsque je décris la structure d'un bâtiment qui n'est qu'au second plan dans le décors de mon roman, dit-il, je plonge en moi pour extraire de la carrière sacrée de mon intimité le granit même de ce bâtiment. Syméon Claudex se dit que c'est complètement idiot. Le granit à la carrière sacrée de son intimité ! Allez Syméon, pense-t-il, éteins-moi ça ! Tu as mieux à faire que d'écouter ce moulin à inepties !

Fiévreux et domptant de sa volonté créatrice les spasmes qui secouent ses entrailles, Syméon se lance dans l'écriture d'une scène ambitieuse où le volcan tremble et fume, puis entre en éruption, envoyant à la ronde d'incandescentes projections pyroclastiques, tandis que des coulées de lave s'échappent de ses flancs et brûlent tout sur leur passage.

samedi 29 septembre 2018

Syméon Claudex a besoin de faire une pause pour se changer les idées. Perdre vingt pages grouillantes de Deinoccocus radiodurans, c'est décourageant. Rien de tel pour se vider l'esprit qu'une bonne course matinale. Un parcours d'inspiration pour relancer la machine. Je pourrais pousser jusqu'à cinq kilomètres, se dit Syméon. Sur le chemin, il papote avec d'autres coureurs. Et puis cette jolie jeune femme, là, qui tire un peu la langue. Vraiment charmante. Je vais courir avec elle, tiens, se dit-il. À petites foulées. Mais elle traîne un peu la patte, ralentit, s'arrête en cherchant son souffle, se plie en deux, appuyée sur ses genoux. Je crois que je vais arrêter, dit-elle, j'ai mal partout et j'ai la nausée.

Le lendemain, Syméon se réveille fébrile. À peine s'est-il installé à sa table de travail qu'il est pris de crampes à l'estomac. J'ai dû me ruer aux toilettes, Docteur !

Une gastroentérite, dit le médecin. Mon pauvre ami, rien à faire : c'est viral.

vendredi 28 septembre 2018

Donc je consacre vingt pages à créer la vie, et tout disparaît au premier virus ? demande Syméon Claudex au réparateur informatique. Je le savais ! Introduisez des personnages dans un roman, et tout de suite, c'est la merde !

jeudi 27 septembre 2018

Tout le jour il multiplie Deinococcus radiodurans. Duplication, allongement, contraction, division. Duplication, allongement, contraction, division. Duplication, allongement, contraction, division. Chacune devenant le clone de celle qui la précédait, les pages scissiséparées se gorgent d'acide désoxyribonucléique tandis que surgissent entre les points-virgules de solides peptidoglycanes.

Syméon Claudex tisse sa syntaxe de glycocalix.

Il aligne les mots et crache d'une traite son texte sans presque respirer. Ma littérature est anaérobique, pense-t-il en contemplant la vingtaine de pages ainsi parées d'une dynamique colonie bactérienne.

Comme il veut enregistrer le produit de son travail, l'écran s'éteint soudain et plus rien ne répond tandis qu'il frappe, frénétique, sur les touches du clavier. Syméon Claudex est pris de panique : huit heures passées à écrire la naissance d'une population entière et tout a disparu ?

Mauvaise nouvelle, lui dit le réparateur. C'est un virus.

mercredi 26 septembre 2018

"Deinococcus radiodurans ne connaîtrait jamais le souffle chaud du Khamsin, ni la douceur lumineuse du diamant. Elle était au fond de son anfractuosité, étrangère à ses semblables, ne les connaissant pas, n'ayant aucun moyen de les connaître. Elle ne verrait d'elles ni leur vie, ni leur mort. Elle ne verrait jamais rien du tout, d'ailleurs. Elle était désespérément seule, mais comme elle n'avait aucun moyen de le savoir, ni aucun moyen de ressentir du désespoir, elle ne fit rien pour se révolter. Son destin ne lui appartenait pas."

Bon, jusque-là, ça va, dit Syméon Claudex à un ami. Mais après, donne-moi ton avis :

"Elle resta immobile et, lentement, mourut. Et rien ne vint troubler la minéralité venteuse du monde."

Ou bien :

"Soudain son corps s'allongea tandis que se dupliquait son matériel génétique. Puis, en son milieu, le corps se contracta jusqu'à ce que se touchassent les deux bords de la membrane, et qu'il se coupât en deux parties identiques. Deinococcus radiodurans n'eut pas la conscience d'avoir inventé la scissiparité ; elle n'en sut rien, d'ailleurs. Mais elle n'était plus seule, désormais, sans aucun moyen de comprendre que les emmerdes allaient commencer."

Hmmoui, répond l'ami. Mais dans les deux cas, je crains que le roman n'ait quelques longueurs avant la résolution de l'énigme.

mardi 25 septembre 2018

"Si elle avait eu le moindre moyen de se mouvoir, Deinococcus radiodurans eût pu quitter son anfractuosité, arpenter les aspérités de la roche basaltique et se glisser au fond d'une anfractuosité voisine. Là, si elle avait eu un quelconque organe sensible, elle eût pu comprendre qu'elle était en présence d'une autre Deinococcus radiodurans. Elle eût alors pu sentir l'angoissante lourdeur de l'air pesant sur la scène d'un crime, car si elle avait eu des yeux, elle eût pu découvrir que cette autre Deinococcus radiodurans, si semblable à elle-même, avait été assassinée - à condition, évidemment, qu'il existât quoique ce soit qui permit à une Deinococcus radiodurans d'en assassiner une autre, à commencer par un peu de méchanceté et un cerveau pour préméditer le crime. Deinococcus radiodurans eût-elle pu sentir la présence du meurtrier, Deinococcus radiodurans, caché dans un repli de la roche, attendant d'en sortir au moment opportun pour se présenter comme le témoin innocent de la scène au moyen d'un discours mensonger servi avec aplomb, et cela s'il avait été doué d'un organe phonatoire permettant le langage et la duplicité ? 

Peut-être. 

Mais Deinococcus radiodurans n'avait aucun moyen de se mouvoir."

Ayant relu ce passage, Syméon Claudex se demande si l'introduction d'une bactérie dans son roman minéral ne va pas rapidement le faire tourner en rond.

lundi 24 septembre 2018


Deinococcus radiodurans était posée là, au fond d'une anfractuosité de la roche basaltique. Elle ne voyait rien, ne sentait rien. Ne produisait aucun son. À vrai dire, elle n'avait aucun organe qui pût produire le moindre son, ni rien voir, ni rien sentir. Elle n'avait pas d'organe du tout. Elle était moins qu'un corps. Moins qu'un organe. Elle ne pouvait pas bouger. Elle était seule. Au fond d'une anfractuosité.

Mais alors, nom de dieu de nom de dieu, pense Syméon Claudex, comment pourrait-elle bien mener cette fichue enquête criminelle ?

dimanche 23 septembre 2018

Syméon Claudex n'a pas dormi de la nuit, tournant et retournant dans son esprit cette histoire de personnages. Son ami n'a pas tort. Le public serait sans doute plus sensible à son œuvre s'il consentait à lui donner quelques personnages en pâture. Les goûts du public sont tellement triviaux, pense-t-il, mais enfin ! S'il le faut ! Au matin, Syméon se résout à faire entrer le vivant dans son roman.

Comment s'appelait-elle, déjà, cette bactérie très ancienne ? Ah oui ! Deinococcus radiodurans ! 

samedi 22 septembre 2018

Si tu veux gagner de l'argent avec ton roman, dit un ami à Syméon Claudex, peut-être devrais-tu y changer deux ou trois détails. Ne crains-tu pas que les rochers et les vents soient insuffisants pour séduire un large public ? Peut-être devrais-tu modifier l'époque de ton récit. L'avancer de quelques années. Deux ou trois cent millions, pourquoi pas ? Tiens, que penses-tu du vingtième siècle ? As-tu envisagé d'y faire malgré tout intervenir des humains ? Peut-être même d'en faire des personnages ? L'un ou l'autre pourrait parler. Que penses-tu d'un policier ? Il pourrait y avoir un meurtre. Un soir de grand vent, si tu y tiens. Il mènerait l'enquête. Poserait des questions. Les lecteurs chercheraient le coupable. Tes phrases seraient courtes. Tendues. Il y aurait du suspens.

Syméon Claudex objecte que de tels procédés seraient un renoncement. Il se refuse à dégrader à ce point ses ambitions. Ce roman doit lancer la révolution minérale de et dans la Littérature, tout de même !

Bon. Et si l'arme du crime était une pierre ?

vendredi 21 septembre 2018

Un peu de patience, allons, ne nous énervons pas, dit Syméon Claudex à l'huissier penché sur sa calculatrice. Je suis, figurez-vous, en pleine écriture d'un roman de première importance qui lancera la révolution minérale de et dans la Littérature. Faites-moi confiance, les à-valoir suffiront largement à couvrir les vingt-huit mille euros que vous me réclamez !

jeudi 20 septembre 2018

Écrire est un acte monacal, pense Syméon Claudex. Il faut, de longues heures durant, vivre dans la solitude et le silence. Chercher le dénuement social. Renoncer au monde. S'isoler de ses semblables. Tendre l'oreille et ne l'ouvrir à rien d'autre que le murmure de son intimité. Nul espace ne reste pour les congénères. Point de visage ami pendant ce long temps de la création. Pas de parole échangée. On est seul, profondément seul. Et dire qu'en plus, Syméon Claudex écrit un roman minéral sans personnage !

Heureusement, quelques fois comme à l'instant, on sonne à la porte, et c'est la promesse d'une rencontre humaine inattendue, d'une brève bouffée de fraternité chaleureuse qui charge le cœur de joie et d'énergie. J'arrive, j'arrive, se presse Syméon au bruit de la sonnette.

Mais c'est l'huissier venu saisir les meubles à la demande de la banque.

mercredi 19 septembre 2018

Maintenant qu'il a terminé deux chapitres de son roman minéral, Syméon Claudex a bien mérité une journée de repos ! Pas une ligne écrite aujourd'hui ! Il faut se ressourcer et goûter à la vie réelle ! Et puis, n'est-il pas temps de répondre à ce banquier qui s'interroge depuis deux mois sur le solde négatif du compte courant et le dépassement du plafond de la carte de crédit ?

mardi 18 septembre 2018

Syméon Claudex est assez satisfait de ce deuxième chapitre. J'ai vraiment trouvé mon style, pense-t-il. Je sens que c'est là. Il suffisait d'ouvrir le texte et laisser entrer le vent. Syméon Claudex relit les premières pages du premier chapitre. C'est une catastrophe. Le style... vraiment..., ça n'a rien à voir, pense-t-il. Pas d'autre choix que de le réécrire.

Cette nuit-là, Syméon Claudex rêve qu'il réécrit le premier chapitre puis, constatant que son style a de nouveau évolué, réécrit le deuxième chapitre puis, constatant que son style a de nouveau évolué, réécrit le premier chapitre puis, constatant que son style a de nouveau évolué, réécrit le deuxième chapitre, et ainsi de suite, sans fin, sans jamais atteindre le troisième chapitre, réécrivant jusqu'à son dernier souffle les deux premiers chapitres de son roman minéral.

lundi 17 septembre 2018

Vent frais, vent du matin... Syméon Claudex a l'intention de terminer son deuxième chapitre, aujourd'hui. Il doit s'achever sur une grande scène... vent qui souffle au sommet des grands pins... où les vents tourbillonnent, se mêlent les uns aux autres, décuplant leur force, se frottant aux roches,... joies du vent, grand vent, entrons dans le grand vent frais... frôlant les parois des montagnes, soulevant le sable du désert pour l'emmener au sommet des montagnes. Ce final,... vent du matin, vent qui souffle au sommet des grands pins, joies du vent, grand vent... ce doit être un morceau de bravoure, se dit Syméon. Il me faut creuser la langue,... entrons dans le grand vent frais, vent du matin, vent qui souffle au sommet des grands pins... descendre, une fois encore, et piocher dans la mine lexicale pour en sortir d'inattendues pépites. Il faut... joies du vent, grand vent, entrons dans le grand vent frais, vent du matin, vent qui souffle au sommet des grands pins... de la matière et du souffle. C'est un saut dans le vide. S'en remettre aux ailes du Guebli, à la force du Williwaw... joies du vent, grand vent, entrons dans le grand vent frais, vent du matin, vent qui souffle...

Mais Nom de Dieu, fermez-là ! hurle Syméon Claudex au petit groupe de louveteaux qui chantent depuis vingt minutes sous ses fenêtres.

dimanche 16 septembre 2018

Trente pages. Trente pages ! Pour deux chapitres ! Est-ce assez, se demande Syméon Claudex, est-ce trop ? Pierre Guyotat lui aussi compte-t-il ses pages pendant qu'il les écrit ?

samedi 15 septembre 2018

Syméon Claudex s'est plongé dans Idiotie, le dernier livre de Pierre Guyotat. C'est une orgie de virgules, de points et de points-virgules ; il y a des parenthèses et des tirets cadratins. Et, sautillant sur  la ponctuation, une langue dansante et sans cesse régénérée. Quelle inégalable perfection, pense Syméon Claudex qui, parcourant ensuite les premières pages de son roman minéral, relisant les phrases laborieuses qui pèsent sur le papier comme une enclume sur la peau du ventre, songe à se rendre au bord du fleuve pour y nouer une corde solide autour de son cou et d'un lourd rocher, et rejoindre la vase où son écriture est enlisée.

vendredi 14 septembre 2018

Chacun à son tour se lève et se nomme à voix haute, et tout le groupe dit bonjour pour lui souhaiter la bienvenue. Certains semblent près de l'effondrement. Ils tiennent à peine sur leur jambes flageolantes. Leur voix se brise au moment de saluer l'assemblée, se gorge de sanglots, et de leurs yeux embués suinte une terrifiante angoisse. Ils sont passés par des moments difficiles. Être ici n'est que le début d'un long chemin, ils le savent. Ils sont émus de la main tendue, de la chaleur humaine qui déjà les couvre d'un réconfortant duvet et les rehausse dans leur humanité dégradée. Ainsi donc, ils font partie de la grande communauté des Hommes. Leurs faiblesses, leurs erreurs, tous ces choix coupables qui les ont fait déchoir : tout est pardonné. Par la parole et l'écoute mutuelle, ils ont l'espoir de s'en sortir.

C'est bientôt le tour de Syméon Claudex de se présenter. Il a le trac. Il doute. Doit-il tout dire de sa souffrance ? Cela va-t-il l'aider ? Il n'a pas le temps d'y réfléchir davantage. Il se lève, parle, et les larmes d'une douleur contenue jaillissent soudain. Il se libère. Il met des mots sur ses problèmes et pleure et pleure et pleure encore. Tout le monde l'entoure et l'encourage.

Il a bien fait, se dit-il, de rejoindre ce groupe des Anxieux Typographiques Anonymes.

jeudi 13 septembre 2018

Syméon Claudex patine depuis deux jours sur cette histoire de parenthèses et de tirets cadratins. Bien sûr, il pourrait faire un choix rapide et écrire en usant, par exemple, de parenthèses. Évidemment il ne s'agirait pas de mettre aux phrases des parenthèses pour le plaisir d'en mettre. Non. Il utiliserait des parenthèses seulement si c'était nécessaire. Le fait qu'il n'ait pas encore eu besoin d'en mettre aux phrases ne signifie pas qu'il n'en faudra pas à l'avenir. Mieux vaudrait avoir fait un choix avant d'être face à l'alternative. Mais Syméon Claudex ne parvient pas à faire ce choix. Alors, se dit-il, je pourrais mettre des parenthèses et, quand le roman sera achevé, si j'ai changé d'avis, je n'aurai qu'à remplacer toutes les parenthèses par des tirets cadratins grâce à mon logiciel de traitement de texte.

Voilà à quoi Syméon pense pendant qu'il court. Il court pour se changer les idées, mais la course est inconfortable.

Et si, en changeant d'un clic les parenthèses pour des tirets cadratins, je supprimais des parenthèses qu'en réalité je souhaite conserver, se dit-il - après tout, on peut souhaiter user parfois de parenthèses, et parfois de tirets cadratins.

Je dois garder en tête l'objectif final, pense Syméon Claudex. Écrire un roman minéral. Lancer la révolution minérale de la Littérature et... mais cette course est vraiment douloureuse ! Quelque chose le gêne dans sa chaussure. Ce doit être un caillou.

mercredi 12 septembre 2018

Les parenthèses, c'est évident, répond VoltaireHugo1515 sur le forum Langue-francaise-trucs-et-astuces.fr. Les tirets cadratins sont une coupable complaisance envers une pratique anglicisante. À proscrire !!!

Tous ne sont pas de cet avis.

Une certaine JessiLit réplique qu'il faut arrêter de se faire chié avec des vieille règles ! On s'en fout t'as qu'à écrire ce que tu sens comme tu sens! (ici est inséré un petit visage qui fait un clin d'oeil). En tout cas des tiret quadratins je connaissais pas ! MDR !, ajoute-t-elle. VoltaireHugo1515 répond qu'au point où elle semble en être, JessiLit peut aussi bien inventer de toutes nouvelles règles. Intervient ensuite MaîtresseCappellotractée qui se fait un devoir de préciser que l'usage du tiret cadratin n'a rien d'anglo-saxon et est en français, au contraire, très ancien — à tel point qu'il est en déshérence. JessiLit tire la conclusion qu'elle avait vraiment raison alors de dire que les règles c'est fait pour ceux qui on pas l'imagination de la création. Et elle ajoute : Freestyle !

La Littérature est comme la gastronomie, pense Syméon Claudex, qui parfois somme le gourmet de choisir entre un pis de chèvre faisandée dans sa sauce au munster et un bouillon de betteraves sucrières, copeaux de chocolat blanc, vergeoise et chantilly double crème.

mardi 11 septembre 2018

Est-ce le vent qui vole aux pierres leur éternité (en les érodant lentement, lentement) ? Si c'est le cas, cela fait-il de lui un acteur et donc un personnage alors que l'on voulait, du roman, cette engeance absente (car de la révolution minérale, il faut garder le cap) ? Si le vent est personnage ainsi déjà renoncer aux idéaux ! a-t-il son libre arbitre ? D'ailleurs est-ce un personnage unique (le vent) ou bien des dizaines alizé, mistral, autan, balaguère,... ?

Et surtout, nom de dieu, faut-il utiliser des parenthèses ou des tirets cadratins ?

lundi 10 septembre 2018

Cheville tordue dans un trou du chemin pendant un parcours d'inspiration. Puis, inflammation des cervicales (tête penchée sur son labeur). Aigreur d'estomac (plat thaï très épicé). Et à trop fixer du regard l'écran de l'ordinateur, la journée s'achève par une migraine violente. Vraiment, le corps de Syméon Claudex met au défi son esprit, qui pourtant veut écrire, qui pourtant veut créer.

Vois-tu, la Littérature exige de l'écrivain qu'il descende au fond du puits de sa douleur, dit Syméon Claudex à un ami qui s'inquiète de son teint pâle.

dimanche 9 septembre 2018

Le Sirooo soufflait vers l'oident, hassant la poussière et ognant les falaises dans une aophonie de rohes élatées. Érasant la plaine de son haleine sèhe et haude il reusait en toute oasion la route terrestre et ses reliefs aidentés pour en faire élore des ailloux.

Est-ce ainsi que s'inventent les langues nouvelles, se demande Syméon Claudex : au gré des touches manquantes sur le clavier ?

samedi 8 septembre 2018

Syméon Claudex s'est réveillé vers sept heures plein de l'énergie féroce de qui se sait seul contre le monde. Il est prêt à en découdre. Il va, aujourd'hui, écrire une dizaine de pages de sa plume trempée dans une encre noire, puisée à l'intarissable source de sa rage créatrice. Il sait que le jour ne tombera pas sans l'avoir vu transcender de sa poésie la rencontre des roches et du vent. Rien n'arrêtera la course de la Littérature, de se dit-il, tandis qu'il prend le petit-déjeuner en consultant son fil d'actualité sur l'écran de son smartphone.

Vers dix heures, il est fermement décidé à s'y mettre, dès que sera terminé ce documentaire sur la disparition des abeilles, un sujet qui l'intéresse au plus haut point. Émergeant vers midi du sommeil méditatif qui l'a emporté, il décide de déjeuner sans attendre et met à cuire, dans une grande quantité d'huile, des croquettes au fromage. Je sens monter le désir incontrôlable de coucher mon âme sur le papier, se dit-il, tandis qu'il regarde à la télévision la fin du journal de treize heures. La force irréfutable d'une sieste digestive l'entraîne jusque dix-sept heures. J'ai allumé l'ordinateur, c'est du temps de gagné, se dit Syméon Claudex comme il s'en va pour libérer ses enfants de l'école. Il mange ensuite avec eux de bon appétit - du carburant pour ma prose, dit-il. Voici que sonnent déjà vingt heures. Comment vais-je écrire mon grand roman minéral si on ne m'en laisse pas le temps ?, se dit Syméon Claudex. Qu'est-ce donc que cette vie qui me tient éloigné de mon art ?

Syméon Claudex n'a pas le loisir de trouver la réponse à cette énigme, s'étant assoupi dans le canapé sans avoir vu la fin du téléfilm policier qu'il regardait, disait-il, pour comprendre les mécanismes de la narration populaire. Quand il s'éveille vers trois heures du matin, il trouve à peine la force de tituber jusqu'à son lit, dans lequel il s'effondre sans s'être brossé les dents.

J'écris avec opiniâtreté, dira-t-il à un ami qui l'interrogera le lendemain sur l'avancée de son roman.

vendredi 7 septembre 2018

Monsieur,

Je ne sais de quel magma tiédasse sortira votre lave, mais soyez certain qu'un mien crachat suffira à l'éteindre. La salive comme la vie étant précieuse, je vous envoie sans frais, dans un petit sac plastique joint à cette lettre, un glaviot prêt à l'emploi que je vous prie de déposer sur vos écrits avant, je vous l'ordonne, de vous en retourner au plus élémentaire néant.

Vous êtes fondé à considérer cette lettre comme la preuve tangible et irréfutable de votre exclusion de l'Internationale Élémentariste. 

Recevez mes plus poreuses pierres ponces,

Syméon Claudex

 

jeudi 6 septembre 2018

Cher Monsieur Claudex, disait le courrier reçu par voie postale, j'ai eu connaissance par un ami commun de votre projet de roman minéral. Je suis moi-même engagé de toutes mes forces dans la création d'un roman sans personnage mettant en scène le feu (et ses variations : flamme, cendre, magma,...) Accepteriez-vous que nous nous rencontrions pour discuter: 
a) de notre utilisation respective de la lave
b) de l'opportunité de créer un "groupe des Élémentaristes" qui pourrait déboucher sur la publication d'une revue et être la matrice d'une Internationale Élémentariste ?
Bien élémentairement vôtre,
Armand Métamagnus, écrivain.

Comme l'acte de création serait beau, pensa Syméon Claudex, s'il n'était tant gâché par les connards prétentieux et usurpateurs.

mercredi 5 septembre 2018

Chinook et Vendavel arrivaient de l'Ouest. Déjà tourbillonnaient Khamsin et Zonda tandis que Chergui, Simoun et Loo brûlaient les flancs de la montagne. Tous attendaient Nordet et Noroît, venus du Nord et chargés de froide résolution. Libeccio fit parler sa fougue. Bientôt tous déferleraient. Ils hurlaient, impatients de s'abattre sur la plaine et de leur repaire montait leur cri terrible : Érosion ! Érosion ! Érosion !

Syméon Claudex tenait le début de son deuxième chapitre.

mardi 4 septembre 2018

Syméon Claudex a beaucoup réfléchi. Certes, son roman doit être le manifeste d'une révolution minérale de et dans la Littérature. Certes, c'est par son aridité qu'il sera novateur. Mais la minéralité n'empêche en rien la dialectique. Il faut, face aux pierres qui habitent sa langue, un élément propre à chambouler leur permanence. Il faut du mouvement. Syméon a l'idée de spectaculaires scènes de roulements, glissements, chutes et entrechocs. Dans le grand théâtre de son œuvre, il faut aux roches un partenaire aussi puissant qu'elle sont immobiles. Sa seule présence induira la tension dramatique. Fera naître le suspens. Inquiétera les lecteurs. Il sera le monstre invisible et sans scrupule. Il guettera, tapi dans l'ombre. À la nuit tombée, bondira. Offrira de trompeuses caresses. Ah ! Voici que le roman gagne en intensité ! C'était donc cela ! Il suffisait d'ajouter du vent !

lundi 3 septembre 2018

Djaïpur, rubis
Ignimbrite, obsidienne
Éclats de silex

Sortis de lave
Votre folle existence
Dure et perdure

Oui, se dit Syméon Claudex. Peut-être pourrais-je composer en haïkus tout le deuxième chapitre.

dimanche 2 septembre 2018

Syméon Claudex lit un livre sur la vie et la mort d'Atahuallpa. C'est tout de même vexant, se dit-il. Ce monsieur Gilbert Vaudey parvient à écrire deux cents pages sur un Inca mort depuis cent lustres et dont on ne sait scientifiquement presque rien, tandis que je peine à produire un premier chapitre sur des pierres dont on sait scientifiquement tout. Las ! La Littérature est ainsi cruelle à l'écrivain, et la roche familière cache plus de mystères indicibles que le plus inconnus des empereurs déchus du Tahuantinsuyu.

samedi 1 septembre 2018

Une fois encore Syméon Claudex relit son premier chapitre. C'est très mauvais, pense-t-il. Quelque chose d'essentiel s'est perdu. Sent-on la cohérence du granit ? La dureté du diamant ? Sent-on la craie friable et le topaze constant ? Saute-t-elle aux yeux, la noirceur du basalte ? Non. Des heures de travail n'ont produit qu'un ennuyeux tapis de gravier sans intérêt, tout juste bon à servir de parking aux voitures. La force de l'artiste est dans sa lucidité, pense-t-il. Et son talent, dans la clairvoyance de ses décisions. Il n'y a qu'une chose à faire, se raisonne Syméon, tandis qu'il ouvre un nouveau paquet de chips, une canette de bière et cherche la dernière saison de Game of Thrones sur un site de téléchargement illégal.