mercredi 15 mai 2019

Syméon Claudex écrit les premières phrases de son dernier chapitre. Les idées apparaissent naturellement, comme des fleurs au bord d'un chemin qu'il suffit de cueillir. Sous ses doigts agiles, les paragraphes naissent, au riche lexique, au rythme soutenu. À peine le temps de penser et déjà dix pleines pages sont écrites. En les relisant, Syméon Claudex sent poindre un doute qui sans tarder se change en malaise. La salive s'épaissit dans sa bouche et sa gorge s'assèche. Des frissons lui parcourent l'échine : ces phrases qu'il relit ne sont pas celles qu'il vient d'écrire. Il reprend la lecture du chapitre depuis le début, et des sueurs froides le prennent, et des tremblements tandis qu'une douleur se met à tordre ses entrailles : tout ce qu'il a écrit semble avoir été remplacé. Plus exactement : les phrases et les paragraphes muent au fur et à mesure qu'il les écrit. Soudain, il comprend : son dernier chapitre se change spontanément en premier chapitre ! Syméon Claudex tremble de peur et des nausées le secouent. Il veut se rassurer en relisant les chapitres précédents, mais quand il remonte dans le document, il ne semble plus rien y avoir avant les premières lignes du chapitre en cours. Tout ce qui précédait s'est effacé, ne lui laissant sous les yeux que deux cent cinquante pages totalement vides et blanches. Une voix intérieure et sépulcrale résonne dans son crâne : "Tout est à refaire ! Tout est à refaire !", et un long rire sardonique monte auquel Syméon Claudex n'oppose qu'un cri d'effroi qui le réveille brutalement, en sueur, épouvanté.

Et voilà, un cauchemar, dit celle qui partage sa vie, je t'avais prévenu ! Je te l'avais bien dit, d'arrêter de te resservir de la lasagne en disant "allez, encore une dernière, juste une dernière assiette !"