mercredi 31 octobre 2018

Le week-end n'a pas offert à Syméon Claudex le gain de productivité qu'il espérait. Samedi matin, une dizaine de pages s'apprêtaient à jaillir de ses doigts, et avant même de s'y mettre il ressentait déjà la joie d'avoir écrit. Hélas, le soir de dimanche tomba sur une seule demi-page noircie de phrases bancales, aussi minéralement révolutionnaires qu'un pavillon de banlieue préfabriqué.

Et dire qu'il faut commencer la semaine par une convocation du chef de service, se dit Syméon Claudex. Mais il ne se laisse pas abattre. Sans doute a-t-on remarqué que son talent littéraire était sous-employé. Sans doute va-t-on lui confier une tâche plus noble. Réorganiser le milieu littéraire, peut-être ? Ou bien c'est évident, maintenant qu'il y pense va-t-on lui offrir de financer son œuvre sans le contraindre à ces basses besognes ! Sans doute réalise-t-on déjà que l'Art est à l'étroit dans ce bureau !

Claudex, en venant me voir, vous m'amènerez la demande de subvention d'Armand Métamagnus, arrivée la semaine passée. Le Président du Jury d'attribution des bourses considère que son œuvre est de première importance, et souhaite que le dossier soit examiné sans délai. Allez mon vieux, et que ça saute !

mardi 30 octobre 2018

Dimanche
Jour gris
De pluie de branches dénudées
Thé fumant lampe allumée le dos
Courbé sur le monde
Comme laboureur avant l'hiver
Seul dans la casemate isolée de son esprit
Claudex invente
Va inventer
Va tisser lettres mots phrases pages
Roches sublimes
Vents bourrasques tornades
Je vous convoque !

Entrez ici avec votre burlesque cortège !
Tournoyez pendant que je vous dompte
Et sur mon ordre fondez sur la langue
Je suis prêt cela vient c'est...

Papa, pendant que nous allons au cinéma pour vous laisser tranquille, Maman vous demande de mettre le linge à sécher, lancer une machine de blancs, repasser le linge sec depuis deux jours et le ranger et réparer la fuite au robinet de la cuisine. Bon travail, mon cher Papa !

lundi 29 octobre 2018

Syméon Claudex a prévenu sa famille. Désormais, le week-end est sacré ! Puisque diverses obligations financières le retiennent loin de sa table de travail du lundi au vendredi, il doit dorénavant s'extraire du monde en fin de semaine, rentrer en lui-même pour écrire en deux jours ce qu'il eût dû écrire en cinq. Qu'on ne dérange pas le créateur ! Qu'on respecte sa Muse ! Qu'on fasse silence pour l'artiste ! Et maintenant, au travail !, dit Syméon Claudex en refermant la lourde porte de son bureau.

Il vient d'allumer son ordinateur et d'ouvrir le fichier minéralclaudex.doc lorsque sa fille aînée entre sans frapper dans le sanctuaire.

N'oubliez pas, Papa, que vous devez dans quinze minutes me conduire au cours spécial de yoga percussif et qu'il faudra venir me rechercher quatre-vingts minutes plus tard, ce qui vous laisse le temps, dans l'intervalle, de conduire mon petit-frère à son atelier de mécanique transcendantale, auquel il faudra aller le reprendre après m'avoir déposée chez mon amie Hilde qui fête son anniversaire - d'ailleurs, vous n'avez pas oublié d'acheter le cadeau que je vous ai demandé, n'est-ce pas ? Il faut aussi conduire votre fille benjamine, ma sœur, à sa réunion louveteau, et, pendant la durée de celle-ci, faire les courses - Maman vous a laissé une liste, elle est partie à son cours de bûcheronnage tantrique. La réunion louveteau s'achève à dix-sept heures, venez alors me reprendre chez Hilde.

Syméon Claudex voudrait se révolter, en appeler à la Raison Supérieure de la Littérature, mais déjà l'autoritaire enfant quitte la pièce.

Ah ! J'allais oublier, dit-elle. Le WC est bouché et de l'eau s'infiltre par le plafond de ma chambre !

dimanche 28 octobre 2018

Que le sentiment de puissance de l'écrivain est chose merveilleuse ! Créer des mondes et les détruire, faire d'eux ce que bon lui semble. Établir l'univers aux dimensions de sa volonté ! Être démiurge ! Être le Destin ! Être Tout !

Quelle sensation grisante !, sourit Syméon Claudex, tandis que les dents mécaniques de la machine déchiquettent avec férocité la demande de subvention d'Armand Métamagnus.


samedi 27 octobre 2018

La probité, se dit Syméon Claudex, est l'honneur de l'écrivain. Nulle œuvre ne vaut sans honnêteté intellectuelle. Et c'est le devoir de l'artiste que de porter au travail de ses confrères une attention sincère et dépourvue d'une quelconque animosité personnelle. Ne confondons pas l’œuvre et son auteur !

Syméon Claudex regarde la demande de bourse signée de la main d'Armand Métamagnus.

Certes, pense-t-il. Mais de là à contribuer à son financement... Alors, où donc est cette broyeuse ?

vendredi 26 octobre 2018

Je dois voir le bon côté des choses, se dit Syméon Claudex. Certes, mon acte créatif est quelque peu empêché par de tristes contingences, mais cela ne peut être que temporaire. Et j'ai au moins la satisfaction de voir mon sacrifice utile à la subsistance d'auteurs dans le besoin quand bien même leur œuvre est d'une platitude et d'un conservatisme désespérant. Celui-ci, par exemple, comment s'appelle-t-il ? Edgar Groblidoganov... et voici qu'il sollicite une aide pour l'écriture d'un recueil de poésie abstracto-concrète consacré à la translucidité. Bien ! Comme il m'est réconfortant de savoir que ma vigilance lui permettra de compléter son dossier et dès lors, de prétendre à cette bourse qui le sauvera de la misère. Voici qui allège ma frustration ! Et celui-ci ! Une demande d'aide pour un roman ! Voyons voir, que dit la page de titre...

Ah.

De lave et de poussière. Roman élémentariste. Armand Métamagnus.

jeudi 25 octobre 2018

Syméon Claudex se lève à six heures. Rapide petit-déjeuner debout dans la cuisine avant de marcher de son meilleur pas vers la gare la plus proche. Le train est bondé et le voyage se fait debout dans l'allée centrale. Une heure plus tard, il débarque du train et se précipite dans un autobus, bondé lui aussi, dans lequel il tente de maintenir son équilibre en se tenant aux poignées grasses et couvertes des microbes déposés là par des centaines de voyageurs inconnus. Ayant survécu à vingt-cinq minutes d'inhalation forcée de mauvaises odeurs, il descend de l'autobus et se fond dans une cohorte grise de piétons se pressant comme des automates surélectrifiés vers les bâtiments du district administratif. Ayant pointé à 8h50, il rejoint son bureau à 8h55 après être passé par la machine à café (1 € pour un expresso, 1,30 € pour un cappuccino, l'un et l'autre au goût de carton humide). À 9h00, Syméon commence son classement, qu'il interrompt vers 10h00 pour aller uriner et reprendre un café. À midi précise, quotidiennement, sa collègue Patricia Bournonville, en charge du tri des dossiers de la commission spéciale des arts de la scène, s'adresse à lui en ces termes : Bon, moi j'ai faim, je vais manger.

À table, Syméon Claudex ne participe pas aux conversations, portant sur divers sujets comme l'héritage de Johnny Halliday, les progrès scolaires des enfants ou les prestations des candidats à The Voice dans l'émission de la veille. Une ou deux fois par semaine, quelqu'un demande à Syméon Claudex Alors, il paraît que tu écris un roman ? De quoi ça parle ? ou bien Alors, ça avance ton roman ?, questions auxquelles Syméon Claudex a répondu la première fois avec de nombreux détails que son collègue Michel Van Feestijn, du service de soutien aux arts émergents, ponctua d'un Ouille, c'est pas un peu prise de tête, ton truc ?, ce à quoi Cynthia, affectée au Recensement du Patrimoine Architectural répondit Moi, j'aime bien une bonne histoire pour me changer les idées en vacances, pas un livre où on fait des phrases. Depuis, Syméon Claudex répond évasivement à ces sollicitations.

L'après-midi est consacrée aux photocopies, réclamations des pièces manquantes et expédition des accusés de réception. À 17h00, Syméon Claudex pointe à la sortie du bâtiment et effectue, dans les conditions identiques à celles de l'aller, le trajet du retour - éventuellement agrémenté d'un monologue de Didier Meulemeester, le responsable qualité du département des aides à la création, par ailleurs passionné de photographie animalière, si par malheur il ne parvient pas à éviter sa compagnie.

Après le repas du soir, au cours duquel ses enfants expliquent par le détail les disputes ayant eu lieu à l'école pendant la journée, Syméon Claudex, épuisé et migraineux, s'installe vers 21h30 devant son ordinateur pour enfin se consacrer à son œuvre jusqu'à ce qu'il tombe de sommeil vers 23h00. En deux semaines, il a réussi à écrire une page du chapitre quatre.

Ça progresse!, se dit Syméon Claudex. À ce rythme, j'aurai terminé un premier jet du roman dans approximativement sept ans et trente-six semaines !


mercredi 24 octobre 2018

Monsieur Claudex, ce qui m'a intéressé dans votre candidature, c'est que vous êtes vous-mêmes un auteur. Vous savez donc tout des tourments de la création. Vous connaissez les heures à chercher la formule qui rendra justice à votre pensée. Vous n'ignorez rien de l'âpre bataille qu'il faut, chaque jour, livrer pour qu'une intention se diffuse sans se dissoudre dans une langue sans cesse renouvelée. Vous êtes dévoué corps et âme à votre œuvre. La poésie est l'air que vous respirez. Mieux ! Si vous inspirez de l'air vicié, c'est chargé de poésie que vous l'expirez ! Et vous savez fort bien de quel engagement total il s'agit, et ce qu'il implique de difficultés à vivre : l'isolement, le manque d'argent... Ah! Monsieur Claudex, ici, les gens tels que vous sont admiré.e.s et choyé.e.s.

Pour tout cela, il me semble que vous êtes exactement celui qu'il nous faut.

Voici donc ce que j'attends de vous. Vous classez dans cette pile les demandes de subvention à l'écriture, dans celle-ci, les demandes d'aide à l'édition, et dans celle-là, les demandes d'aide à la traduction. Ensuite vous vérifiez que chaque dossier comprend bien huit exemplaires conformes ainsi que la fiche d'identité du.de la demandeur.eresse (C4532 pour les auteurs.trices, C6784 pour les éditeurs.trices, C9617 pour les traducteurs.trices), sans oublier un relevé d'identité bancaire. Le cas échéant, vous faites les copies nécessaires (en recto-verso) et vous réclamez les pièces manquantes. Faites très attention : pour nos communications internes, nous utilisons l'écriture inclusive. Et n'oubliez pas de pointer lors de votre arrivée et à votre départ. Bienvenue parmi nous, Monsieur Claudex !

mardi 23 octobre 2018

Syméon Claudex est terriblement déprimé. Il semble n'être fait pour aucun emploi. Il n'a tenu qu'une seule journée à servir du café. Le gérant a mis un terme à sa période d'essai parce qu'il n'a pas compris tout le potentiel commercial de sa littérature robusta ni de sa poésie torréfiée. Certes, il n'aurait peut-être pas dû crier Et un frelaté-Macchiato pour ce Monsieur, un ! mais ces multinationales n'ont manifestement aucun sens de l'humour. Et avec tout ça, il n'a pas écrit une ligne depuis des jours !

- Monsieur Claudex, il vous reste quinze jours pour payer intégralement votre dette, faute de quoi, nous serons contraints de procéder à une saisie de vos biens.
- Sachez, Monsieur l'huissier, que vous n'aurez pas, non vous n'aurez pas ma liberté de penser !

lundi 22 octobre 2018

Tandis que mousse
Le lait
Sur la surface
Fumée
Tu dis
Moccachino grande !
Puis regardes, Joël
Couler le caramel

Eh, le nouveau ! Eh Oh ! Claudex ! On te paie pas pour écrire des poèmes à la con sur les gobelets ! Tu écris juste le prénom du client et tu te magnes. Capiche? Tu crois qu'on a que ça à foutre ? Et tu me nettoies le pot à crème, bordel !

dimanche 21 octobre 2018

Monsieur Claudex, je vous donne entièrement raison. L'industrie de l'énergie éolienne est en plein essor et nous avons besoin de personnel compétent et passionné, toutefois, en l'absence du moindre diplôme en ingénierie électrique, d'une formation approfondie sur la technique des turbines, d'un indice quelconque dans votre curriculum vitae qui me donnerait à penser que vous savez précisément comment fonctionne un transformateur, ou encore d'une expérience significative dans le domaine de la conduction de l'électricité à haute tension, vous comprendrez, je l'espère, que, tout en vous remerciant vivement de l'intérêt que vous manifestez pour notre société, je ne puis vous confier un poste de gestionnaire de parc éolien sur la seule foi de votre phrase Syméon Claudex fait souffler sur la plaine vierge de ses pages le Chlouc et le Pampero, le Balaguère et le Farrou et c'est la puissance de son inspiration qui façonne le monde en érodant ses falaises.

samedi 20 octobre 2018

Oui, Monsieur Claudex, nous avons bien reçu votre candidature, et il vrai que nous cherchons d'urgence un professeur de biologie pour nos classes de troisième, mais j'avoue que votre lettre me laisse perplexe, car je ne suis pas certain de comprendre ce que vous voulez dire par Syméon Claudex peut d'un trait de plume créer et faire croître une population de bactéries avant de l'anéantir en un instant.

vendredi 19 octobre 2018

Écoutez, Monsieur... Claudex, oui, Monsieur Claudex, donc, en effet, nous pouvons tout à fait vous inscrire comme candidat au travail intérimaire, et croyez bien que notre société serait parfaitement désireuse de valoriser vos compétences auprès de nos clients, qui, comme vous le savez, sont principalement actifs dans le domaine du bâtiment, cependant, je ne puis que vous conseiller de modifier votre fiche individuelle de présentation car je crains que votre phrase... permettez, je vous cite :  Il suffit à Syméon Claudex d'un peu d'encre et d'un porte-plume pour faire jaillir du cratère de volcans fabuleux les roches et les minerais précieux, afin que dans sa langue le marbre offre à la poésie un palais luxueux, soit adéquate pour solliciter un emploi de manœuvre en maçonnerie.

jeudi 18 octobre 2018

Syméon Claudex doit bien se rendre à l'évidence : il a un urgent besoin d'argent. Faut de la thune, et vite !, comme disent les jeunes. Il sait qu'il en va de la possibilité même de son œuvre. Révolutionner la Littérature ne se fait pas avec l'esprit obstrué par les soucis financiers. Les dettes risquent de le détourner de son but. Déjà a-t-il failli pervertir le projet radical de son roman, en y laissant pénétrer des personnages, dans le seul but de se conformer aux goûts du grand public. Non, il le sait : il faut qu'il gagne rapidement de quoi calmer ses créanciers. Il faut prendre exemple sur ce courageux poète, qui afin d'assurer son indépendance créatrice, n'hésite pas à se lever aux aurores pour parcourir les rues froides de la ville, une besace lourdement chargée de courrier pesant à son flanc.

Syméon a acheté la presse du jour. Il va de journal en journal, étudiant méthodiquement les offres d'emploi. Puis il prolonge sa quête méticuleuse sur les sites en ligne d'aide à l'emploi, ainsi que dans les agences de travail intérimaire. Las ! Après plus de trois heures de recherches, il n'est que dépit.

C'est bien ma veine, pense-t-il, pas un seul emploi vacant dans une revue de critique littéraire !

mercredi 17 octobre 2018

Ce n'est sans doute pas le moment, mais votre œuvre poétique m'intéresse beaucoup, dit Syméon Claudex au facteur. Et il faudra que vous m'exposiez vos idées sur la métrique. J'espère que nous aurons l'occasion d'en reparler, ajoute-t-il tandis qu'il ouvre, d'un doigt glissé dans l'enveloppe, le recommandé reçu. C'est son assureur qui refuse d'intervenir pour le sinistre de sa voiture et pour le déclassement complet du véhicule de cet imbécile d'Armand Métamagnus. Et qui lui réclame en outre trois trimestres de primes impayées.

Et sinon, plus prosaïquement, dit-il au facteur dans un raclement de gorge, je me demandais, quelle est la marche à suivre pour trouver un emploi comme le vôtre ?

mardi 16 octobre 2018

Écoutez, j'ai un master en littérature comparée, rédigé une thèse sur l'utilisation divergente de l'invective dans la poésie révolutionnaire mexicaine et sous la Commune de Paris ; j'ai publié trois romans pour la jeunesse dont l'un a reçu le prix Adolecteurs de Picardie, et huit recueils de poésie dont deux ont été classés par le magazine Paronomases aujourd'hui parmi les cinquante œuvres poétiques incontournables de la décennie ; mon dernier recueil a reçu les Lauriers d'or au dernier Festival Internacional de Poesia Microminimalista à San Fernando de Guadalajara ; j'ai enfin publié plusieurs essais qui font autorité dans le domaine de la métrique expérimentale contemporaine, dont le dernier (Devenir pétrifié de l'hexamètre dactylique, éditions Glox) pourrait, je crois, vous intéresser, alors oui, dit le facteur à Syméon Claudex, j'ai peut-être un avis sur vos difficultés présentes, et croyez bien que je comprends vos doutes et vos angoisses, mais je fais ce travail pour des raisons alimentaires, sans véritable passion, j'en conviens, pour la rencontre humaine qu'offre le porte à porte, et du reste, au plus tôt j'ai fini ma tournée, au plus tôt je peux rentrer chez moi pour me consacrer à l'écriture à laquelle, par ailleurs, j'ai sacrifié ma famille et mes amis, pour ne rien dire de ma santé, alors pour cette raison, Monsieur Claudex, avec tout le respect que La Poste doit à ses clients, je vous conjure maintenant de la fermer et de signer ce fichu accusé de réception !

lundi 15 octobre 2018

Vous comprenez, dit Syméon Claudex, je suis face à de grandes difficultés. Le vent ne fait que souffler. La roche roule, éclate ou glisse. Le sable s'envole. J'ai le pouvoir de faire couler la lave en effleurant de mes doigts le clavier. Il y a tant de violence entre ces parois de calcaire que je voudrais exprimer ! Les tourments de ce monde que je fais naître de mes mots, ne sont-ils pas métonymiques des turbulences de l'univers tout entier ? Et comment canaliser cette violence dans une forme neuve et proprement révolutionnaire du roman ? J'ai tenté de dynamiter la syntaxe, mais le public est-il prêt à me voir déconstruire sa langue ? Dois-je inventer de toute pièce un vocabulaire nouveau ?

Mais je parle, je parle, dit Syméon au facteur, et je vous empêche de me le remettre, ce recommandé !

dimanche 14 octobre 2018

Syméon s'est levé tôt. L'aube l'a baigné d'une lumière d'automne, humble et douce, pendant qu'il courait (trois kilomètres). Il a enchainé sur dix pages (dix pages !) apaisées, d'une évidente facilité (ses doigts caressant doucement les touches du clavier), en buvant à petite gorgées une tisane détox aux baies de gogi. Sa langue s'est épurée en se vidant des substances psychostimulantes qui l'engorgeaient.

Dans le texte, une brise légère et tiède caresse un fin gravier. De petites pierres rondes, légères, roulent lentement vers la plaine en suivant une pente douce couverte d'une fine poussière blonde. Quelques cailloux s'entrechoquent. Tout est paisible. Tout est calme. Tout est doux.

Mais qu'est-ce que je m'emmerde !, se dit Syméon Claudex.

samedi 13 octobre 2018

Syméon Claudex regarde le jardin à travers la fenêtre.

Un ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur son esprit encerclé par l'horizon. Quel long ennui, gémit-il, quel jour noir plus triste que la nuit. Un cachot humide, voilà ce que lui évoque la terre du jardin. Il n'a pas même un timide espoir que passe cette migraine qui va battant les murs de sa tête comme une chauve-souris se cognant au plafond pourri de son crâne. Pour ne rien arranger il pleut, ça fait d'immenses trainées sur les carreaux. C'est la taule, ici, pense Syméon Claudex, un endroit infâme où on se fait bouffer la cervelle en silence par tout un peuple d'araignées. Soudain, un furieux coup de klaxon le fait sursauter. Des chiens errants - pas du quartier, se dit Syméon Claudex,  - hurlent affreusement. puis se mettent à geindre. Syméon a l'impression que des longs corbillards sont garés en double-file dans sa tête. Pas de tambours. Pas de musique. L'espoir vaincu. Y a de quoi pleurer. Ô Angoisse atroce, pense Syméon, despotique, sur mon crâne incliné tu plantes ton drapeau noir !

Bon, c'est foutu, se dit-il. Je n'écrirai rien de bon aujourd'hui. 

J'ai besoin d'un bol d'air.

Le sevrage des amphèt, tu parles d'un spleen !







vendredi 12 octobre 2018

Si je comprends bien, dit le médecin à Syméon Claudex, depuis votre gastro-entérite, vous vous êtes fâché avec votre meilleur ami, vous avez démoli la syntaxe et votre voiture, on vous a retiré votre permis de conduire, et vous avez envoyé une lettre au commissaire de police où vous vous prenez pour l'incarnation de votre roman. Alors oui, en effet, je crois que même si le but est d'augmenter votre productivité littéraire, il serait bon, Claudex, de cesser de prendre deux cachets d'amphétamines à chaque repas.

jeudi 11 octobre 2018

Simoun et Levêche faisaient tourbillonner la poussière, l'élevant plusieurs centaines de mètres au-dessus du sol, pendant que Gharbi et Squamish emportaient des millions d'éclats de silex, aiguisés et dardés vers l'avenir comme les armes irréfutables d'une puissance sans limite. Ils s'engouffrèrent dans le défilé, accélérant encore, comme appelés par un destin plus grand qu'eux-mêmes, charriant ces roches émiettées qui déchiquetaient les obstacles posés là par des siècles et des siècles d'immobilisme. Rien ne pouvait leur résister. Rien ne DEVAIT leur résister. C'était le monde nouveau et brûlant d'exister qui vrillait la carcasse friable d'obsolètes accumulations sédimentaires. C'était la pulsion d'être contre la masse inepte.

Ceci pour vous dire, Monsieur le Commissaire divisionnaire, que votre agent n'a manifestement rien compris à l'enjeu littéraire de la situation, raison pour laquelle, je sollicite la restitution de mon permis de conduire.

Syméon Claudex.

mercredi 10 octobre 2018

Quelle évidence !, dit Syméon Claudex. Quelle métaphore ! Voyez-vous ce signe que la vie nous envoie ? Voyez-vous comme les écrivaillons entravent la progression de la Littérature nouvelle ? Voyez-vous comme le travail que j'ai engagé leur fait peur ? 

Ce pauvre Métamagnus ! Tout à sa médiocrité, incapable de prendre la mesure du travail de refondation du roman qu'exige la révolution minérale, il ose désormais jeter sur moi la vulgarité métallique de sa ridicule berline pour m'empêcher de suivre la voie que je me suis tracée ! Oh le pitoyable esclave du point-virgule ! Regardez-le, cette larve, se tortillant sous le poids de ses lourds adverbes ! Mais le public averti doit trancher - je vous prends à témoin ! - oui, il doit choisir son camp entre la vieille langue radoteuse et la Littérature qui trace de sa machette de nouvelles routes dans l'épaisseur du monde ! 

Et le public averti, c'est vous qui le représentez, Monsieur l'agent !


mardi 9 octobre 2018

Oui Monsieur ! Non Monsieur ! Parfaitement ! Je suis dans mon droit ! Ma vitesse n'a rien à voir là-dedans ! J'avais la priorité !, s'énerve Syméon Claudex sur ce malotru, par ailleurs pas fichu de tenir un volant, qui vient de lui écraser l'aile gauche et qui semble n'avoir pas l'intention de faire profil bas.

- J'exige un constat ! Et d'abord, comment vous appelez-vous ?
- Je suis Armand Métamagnus, Monsieur ! Oui ! Le fameux auteur !

lundi 8 octobre 2018

Syméon Claudex s'est affranchi de la syntaxe. Un immense sentiment de liberté l'envahit. Mieux : un sentiment de puissance. Rien ne peut l'arrêter. Les règles, la loi : rien ne résistera à la révolution minérale de et dans la littérature !

Syméon prend sa voiture. Rien de tel pour stimuler son imagination que de conduire à travers la ville. Je sens qu'aucune limite ne peut contraindre mon roman, pense-t-il, tandis qu'il brûle un feu rouge et manque de renverser un passant sur le passage piéton. Ce troisième chapitre va balayer toutes les certitudes des tenants de l'ancienne littérature, dit-il à voix haute pour couvrir le bruit du moteur qui s'emballe lorsqu'il passe à quatre-vingts kilomètres à l'heure dans une étroite venelle. La critique littéraire n'a qu'à bien se tenir ! Je vais la défonc...

 Mais quel est ce con qui lui brûle la priorité de droite !?!

dimanche 7 octobre 2018

Devant falaise gemmes avaient attendu arrivée grandes bourrasques Suête arrachant passage morceaux granit tombaient ensuite sable lequel tourbillonnait soulevé souffle rabattant venu outre désert lames schiste étaient détachées socle coupantes volaient auraient tout déchiqueté passage toutes pierres autour avaient plus dures elles

Voilà, se dit Syméon Claudex. Commencer par un vent si puissant qu'il emporte la ponctuation et les mots de moins de quatre lettres.

samedi 6 octobre 2018

Ce qu'il faut, se dit Syméon Claudex, c'est que j'élargisse le périmètre de ce roman. Que j'en rehausse l'enjeu. La révolution minérale est certes nécessaire, mais elle est trop étroite pour mon ambition littéraire. Il y a tant à faire pour emmener la Littérature vers le siècle prochain ! Et il me reste si peu d'années ! Syméon Claudex sait qu'il lui faut détruire les murs de l'ancien monde, tout rongés de mérule. N'est-il pas temps, enfin, de réinventer la syntaxe ?

vendredi 5 octobre 2018

Le monde avait retrouvé sa pureté originelle.

L'eissaure réconfortant caressait le calcaire de son souffle doux comme au matin du premier chapitre, et rien ne troublait l'éternelle minéralité du roman ; plus la moindre trace de vie.

Plus d'ami pour pervertir son œuvre et l'encombrer d'idées poussives et dépassées. Plus de lâches concessions au goût des masses. Un nouveau chapitre s'ouvrait devant Syméon Claudex, impatient de creuser de sa plume le karst de la langue. Un chapitre sans rien qui le détournât de sa tache révolutionnaire. Sans végétal. Sans animal. Sans homme ni femme. Sans policier ni assassin. Un chapitre sans Deinoccocus radiodurans.

Un chapitre, enfin, sans virus.

Et pour le moment sans le moindre début d'idée, se dit Syméon Claudex, dont les doigts étaient depuis une heure suspendus dans l'air au-dessus du clavier et commençaient à s'engourdir.

jeudi 4 octobre 2018

Mon cher vieil ami,

Le cœur me saigne, mais la Littérature a ses raisons que le cœur ne connaît point.

Ce long compagnonnage qui fut le nôtre, je dois y mettre fin. Bien sûr, une belle histoire nous lie depuis notre plus tendre enfance. Bien sûr, de classe en classe, d'école en école, sur les bancs de l'Université, au service militaire, nous avons vécu côte à côte. Nos aventures de jeunesse, nos vacances, que de souvenirs joyeux... Je n'oublie pas que tu as ensuite épousé ma sœur, j'en fus le témoin, et je te prie par ailleurs de lui faire savoir qu'elle restera toujours dans ma mémoire. Comme, d'ailleurs, ma filleule, ta fille, que j'aurais aimé voir grandir. Je peux t'affirmer que ma décision n'a aucun rapport avec son handicap - je tiens à ce qu'il n'y ait entre nous aucun doute à ce sujet !

Ainsi, il est temps que nos chemins se séparent. Nous n'avons — ô combien je le regrette !  — pas du tout la même conception de la Littérature et des exigences de la révolution minérale dans laquelle je suis engagé corps (et comment !) et âme.

Adieu donc, mon frère. Peut-être nous reverrons-nous au-delà du monde des Lettres.

Celui qui fut ton ami,

Syméon Claudex

PS. Il va de soi que je te rembourserai l'argent que tu m'as prêté dès que j'aurai touché les à valoir de mon roman.

mercredi 3 octobre 2018

Syméon Claudex était pris d'un sérieux doute.

Au commencement était la roche. Puis vint le vent. Et il vit que c'était bon. Et il vit que ce monde minéral était plaisant à son âme. Il eût pu l'habiter seul. Il l'eût habité à mesure qu'il le créait. Il l'eût créé à mesure qu'il l'habitait. Et cela eût été bon. Et cela eût été plaisant à son âme. Mais la tentation du succès lui fut envoyée (sous les traits d'un ami, qui plus est – avec qui il faudrait rompre, pensait-il). Il succomba à la tentation de corrompre la beauté minérale de son roman en y faisant naître la vie. Mais l'Ange de la Littérature veillait, et il anéantit cette prolifération nuisible. Il eût fallu s'en réjouir. Au lieu de cela, Syméon reproduisit dans son propre corps l'hécatombe qui s'était produite dans son roman. Toute vie intestinale avait été anéantie. C'était comme s'il faisait corps avec le roman. 

Comme si il était, lui, Syméon, le corps même du roman !

L’œuvre et son créateur ne faisaient-ils qu'un ?

Alors, maintenant que le roman ne contient plus qu'un peu de vent et des tonnes de cailloux, prendre ou pas rendez-vous chez l'urologue ?, se demandait Syméon. Ne manqueraient plus que des pierres aux reins !

mardi 2 octobre 2018

Que c'est triste, se dit Syméon Claudex, le temps des bactéries mortes. Je m'voyais déjà en haut de la liste des meilleures ventes, mais désormais, on ne nous verra plus ensemble, Deinoccocus radiodurans et moi. Syméon, mon vieux, tu t'laisses aller, pense-t-il. Le temps te fera oublier cet échec. Le temps, le temps et rien d'autre. Et pourtant, il faut savoir se remettre au boulot.

Parce que, se dit Syméon Claudex, la Littérature, c'est pas la chansonnette !

lundi 1 octobre 2018

Écoutez mon vieux, dit le médecin à Syméon Claudex, je ne peux rien faire pour vous. Ça passera ! En attendant, je vous conseille les probiotiques. Ça va reconstituer le microbiote. Et essayez le yaourt, c'est plein de bonnes bactéries !

Mais ce n'était qu'un rêve fiévreux, et Syméon Claudex se réveille au moment où il s'apprêtait à badigeonner le clavier de son ordinateur d'un litre de yaourt vanille-maracuja.