Clair comme de l'eau de roche. Gravé dans le marbre. Bâti sur du sable. Pierre qui roule n'amasse pas mousse. Il y a anguille sous roche. Malheureux comme une pierre. Je ne vous jette pas la pierre. Le marchand de sable est passé.

Quelle étrange obsession, pense Syméon Claudex, que celle de gâcher des expressions minérales en les fourrant paresseusement d'eau ou de vie de toute sorte !

- Tu n'es pas prêt de terminer ton roman minéral si tu hésites et doutes ainsi à chaque phrase !, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Dieu a douté pendant plusieurs milliards d'années avant de laisser le public lire la Bible. Et franchement, malgré ça, il a laissé passer beaucoup de bêtises !

"Le Chlouc soufflait de plus belle ; une émeraude affleurait le sol."
Ou bien :
"Le Chlouc soufflait de plus belle ; une émeraude affleura le sol."

- Tu chipotes !
- Et le Chlouc alors ? Je suis à deux lettres de lui donner de l'importance !

"Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable, les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable ; les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable. Les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable et les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable faisant les falaises se couvrir de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable... les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable, les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable ; les falaises se couvraient de jaune." Non. "Le Chlouc arrivait du sud chargé de sable. Les falaises se couvraient de jaune." Non.

- Oui, dit à une amie celle qui partage le vie de Syméon Claudex, il a enfin commencé un nouveau chapitre. Touchons du bois : la fin est proche !

Excuse ma curiosité, demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, mais si les pouvoirs littéraires du Scryptonien sont à ce point efficaces, pourquoi le Scryptonien n'a-t-il pas déjà terminé d'écrire son roman minéral ?

- Il n'a pas envie d'être repéré pour le moment, dit Syméon Claudex. Le monde n'est pas prêt pour un tel héros.

Parfois, les pouvoirs du Scryptonien lui pèsent, et son désir est alors d'y renoncer pour ne plus mener qu'une vie humaine, détachée des hautes exigences de l'écriture, libérée de la pulsion irrépressible d'utiliser son rayon orthographique ou sa super-oreille prosodique. Il n'aurait plus à redresser les erreurs grammaticales. Ne passerait plus ses jours et ses nuits à servir avec dévotion la Littérature en produisant des centaines de pages au style travaillé, ou des vers à la métrique précise.

- Et que deviendrait-il s'il n'écrivait plus ?

- Comme tout le monde : il publierait sur les réseaux sociaux des photos de livres avec une tasse de thé et des muffins.

Les pouvoirs du Scryptonien fascinent les humains.Tous et toutes veulent être ses amis, toutes et tous veulent le séduire. Il est l'archétype du fantasme. Sa poésie fait se pâmer les foules. On rêve d'être seul avec lui, de l'entendre lire ses écrits dans l'intimité d'une chambre. Alors, sa parole est d'or ! Alors, on le désigne comme un phare de la pensée !

Oui mais quand on le rencontre sous son identité humaine, dit Syméon Claudex, on ne voit en lui qu'un type blafard à grosses lunettes qui ne parle que de syntaxe et d'orthographe ! Tu parles d'une séduction !

Cela faisait des heures que le Squamish tourbillonnait et se gonflait en tempête, gagnant de la puissance à chaque passage dans les fjords où, se glissant entre les hautes falaises, il prenait de la vitesse, puis tournoyait encore avant de s'engouffrer en furie dans les vallées encaissées. Rien, alors, ne pouvait lui résister, les parois friables s'effritaient sur son passage et des morceaux entiers de roc se détachaient, et projetés comme de simples grains de poussière, venaient se fracasser sur la lande ou s'enfoncer de plusieurs mètres dans le sol.


- Tu vois, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, écrire offre un pouvoir sans limite : faire souffler l'ouragan et soulever les roches est un jeu d'enfant pour le Scryptonien !
- À ce propos, il faudrait d'urgence emmener au parc à déchets les tuiles de l'ancien toit, ainsi que les vieux linteaux en pierres de taille.
- Oui, bon, oh, je suis pas Superman, hein !

Très vite le Scryptonien comprend qu'il ne peut exercer ses pouvoirs qu'en se fondant dans la population humaine. Ainsi chacune de ses apparitions conserve un caractère surnaturel et mystérieux. Le reste du temps, personne ne le reconnait derrière ses grosses lunettes et son costume trois pièces, et il peut mener une vie normale.

Et puis, dit Syméon Claudex, s'il ne se cache pas, on lui demande sans arrêt et corriger des textes, relire des mails et aider le fils du voisin à écrire son travail de fin d'études !

La planète Scrypton était peuplée d'habitants possédant les mêmes pouvoirs que celui qui voyagea vers la Terre, mais tous n'étaient pas bien intentionnés. Il y eut, sur Scrypton, de nombreuses rentrées littéraires, et le sol devint pollué par les livres complètement idiots écrits par une partie de la population. On appela cette matière : Scryptonite. La scryptonite pollua tant la planète qu'elle provoqua son explosion. De grandes quantités de ces livres complètement idiots furent projetés dans l'espace, et beaucoup voyagèrent jusqu'à la Terre où ils tombèrent en pluie de météorites sur les tables des librairies. Attention ! Cette scryptonite est terriblement dangereuse pour le survivant de Scrypton ! Une simple exposition à la scryptonite affaiblit ses pouvoirs et, si elle se prolonge, peut le tuer !

C'est pourquoi, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, je te demanderai de ne plus laisser trainer sur mon bureau les livres que tes parents te prêtent.

La planète Scrypton l'avait vu naître mais elle mourrait, et il avait dû la quitter pour trouver refuge sur Terre. Ses pouvoirs hérités de Scrypton en faisaient un être exceptionnel, demi-dieu parmi les humains. Il se rendit vite compte qu'il écrivait plus vite. Beaucoup, beaucoup plus vite. Un rayon orthographique sortait de ses yeux et corrigeait les fautes les plus subtiles commises par les mortels. Son souffle grammatical redressait tous les textes. Et sa puissance stylistique était incommensurable. Oui, l'enfant de Scrypton le savait : son destin était tracé.

- Devenir écrivain?, demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Non. Sombrer dans l'alcoolisme devant une page blanche.

Et quand as-tu su que tu étais écrivain ?, demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.

- Mais je l'ai toujours su ! Déjà à l'école primaire, je méprisais ce qu'écrivaient les autres enfants de la classe !

La condition d'écrivain est des plus exigeantes, dit Syméon Claudex. Elle requiert avant tout de la lucidité, car l'écrivain sait, au plus profond de lui, qu'il est écrivain. Et il sait, tout aussi certainement, que ce qu'il écrit est nul. Mais la lucidité ne suffit pas, car pour oser soumettre son œuvre au jugement du public, il faut bien plus.


- Quoi donc ?
- Une absence totale de sens du ridicule.

Syméon Claudex s'est endormi dans le fauteuil vers deux heures du matin, sans voir la fin du troisième film. Il avait fermement décidé de profiter de l'absence de sa famille pour passer la soirée à travailler mais, après le repas, il s'était autorisé à s'asseoir dans le fauteuil quelques minutes pour digérer — et, malgré sa forte volonté de limiter l'intrusion des écrans dans sa vie, il avait allumé la télévision pour regarder le journal et se tenir au courant de l'évolution du monde, et il l'aurait éteinte s'il n'avait vu l'annonce de la diffusion d'une trilogie dont il s'était dit qu'il pouvait peut-être regarder le début du premier volet. Avant tout, il n'était pas sensé manger autant, et donc avoir besoin de s'asseoir dans le fauteuil pour digérer, mais puisqu'il était seul, n'était-ce pas l'occasion de se cuisiner un jambonneau au munster et d'ouvrir cette bouteille de Morgon, dont il avait décidé, il est vrai, de ne boire qu'un verre, ce dont il s'était rappelé — trop tard — alors qu'il ouvrait une deuxième bouteille.

- Mais tu as l'air épuisé, tu as travaillé toute la nuit ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Écoute, la Littérature requiert un engagement total et une volonté de fer !

Ne devrais-tu pas recommencer à courir ?, demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Cela profitait à ton inspiration comme à ton corps : ton roman grossissait tandis que tu maigrissais. C'est désormais l'inverse.

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Viens plutôt m'aider à me lever !

- Allez,tu es fatigué, je t'emmène boire un verre !, dit un ami à Syméon Claudex. Et je te ferai oublier cette folle tentation de céder au plagiat !

- Vois-tu, dit Syméon Claudex, si j’ai du goût, ce n’est guère que pour la terre et les pierres. Je déjeune toujours d’air, de roc, de charbons, de fer. Mes faims, tournez. Paissez, faims ! Mangez les cailloux qu’on brise, les vieilles pierres d’églises, les galets des vieux déluges, pains semés dans les vallées grises.
- Diable, je pensais plutôt à quelques verres de mirabelle ! 

"Le galet n'est pas une chose facile à bien définir. Si l'on se contente d'une simple description l'on peut dire d'abord que c'est une forme ou un état de la pierre entre le rocher et le caillou. Mais ce propos déjà implique de la pierre une notion qui doit être justifiée. Il est vrai que la pierre elle-même se montre parfois agitée. C'est dans ses derniers états, alors que galets, graviers, sable, poussière, elle n'est plus capable de jouer son rôle de contenant ou de support des choses animées. Désemparée du bloc original elle roule, elle vole et réclame une place à la surface, et toute vie alors recule loin des mornes étendues où tour à tour la disperse et la rassemble la frénésie du désespoir."

- Mais c'est du plagiat !, dit un ami à Syméon Claudex.
- C'est un parti-pris. Je préfère dire que je suis une éponge.

Si je te comprends bien, dit un ami à Syméon Claudex, depuis que t'es mis en tête de prostituer ton art, tu n'as suscité l'intérêt que d'un abattoir et d'un fossoyeur ?

- Oui, quelle métaphore de la littérature et de l'édition, n'est-ce pas ?

"Cher Monsieur Claudex,
Nous avons entendu parler de votre proposition innovante de publicité insérée dans un roman. Toujours à la recherche de nouveaux modes de promotion de notre travail, et parce que les lecteurs et lectrices de romans sont susceptibles de faire partie de notre clientèle dans un avenir proche, nous serions très intéressés par une insertion de notre marque dans un chapitre de votre choix, idéalement dans un paragraphe marbres, granit et pierre bleue.
Bien cordialement, etc."

- Étonnant, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.
- Et c'est signé Joseph Meûlevrancken, Monuments funéraires, pierres tombales et caveaux !

Eh bien, je dirais, quelques mois d'écriture, ensuite les corrections et améliorations, puis soumettre le manuscrit à un éditeur — et sur ce point, je vous rassure : pas question d'aller vendre mon œuvre au premier margoulin venu — puis comptez trois ou quatre mois pour obtenir un accord — qui ne fait aucun doute ! — suivis, je le crains, de quelques mois pour la fabrication et mise du livre en stock chez les libraires, bref, je peux vous assurer que votre publicité dans mon roman minéral sera lisible par les acheteurs dans un délai de dix-huit à vingt-quatre mois !, dit Syméon Claudex au Senior Marketing & Communication Manager de la European Stones & Sand Inc. Et je ne vous parle pas des emprunts en bibliothèques !

"Malongo, Volvic, Mercedes, Coca-Cola Zéro, Samsonite, Cruzcampo, Ruinart, Sony, Toyota, SFR, Uber, Crédit agricole, BNP, Carrefour City, Daily Monop', Nespresso, Danone, Technics, Camel, Desigual, The Kooples, Martini, Super U, Kinder Bueno, Nissan, Carrefour Market, Philip Morris, Sprite, Orange, Nesquik, Disney, Gitane, Destop..." Et il en cite bien davantage !, dit Syméon Claudex, Alors oui, le dernier roman de Michel Houellebecq est peut-être plus rentable que mon roman minéral, mais pardon ! sa littérature manque cruellement de cohérence !

Mais enfin, Monsieur, pour qui me prenez-vous ?, s'énerve Syméon Claudex. Comprenez-vous seulement que mon roman est un roman minéral ? Que j'ai l'intention de provoquer, grâce à lui, la révolution de et dans la Littérature ? Pensez-vous vraiment que je vais abaisser mon œuvre et corrompre son ambition en y faisant votre publicité ? Sachez que je ne conçois ce roman que dans la plus exigeante radicalité ! Un roman minéral sans le moindre personnage ! D'aucune sorte ! Point de vie dans ces lignes ! Et sans personnage, je ne vois pas ce que viendrait y faire une quelconque mention de la Société Ardennaise des Abattoirs !

Ce que je pense, dit Syméon Claudex au responsable communication de la SA SABLODRAIN, c'est que, dans ses formes traditionnelles, le roman a fait son temps. Le roman d'aventure, le roman de formation, le roman d'apprentissage, le roman sentimental : tout cela est dépassé. L'autobiographie ? Dépassée. L'autofiction ? Épuisée. Le roman vrai, le roman du réel ? Des formes archaïques qui ne sont plus en prise avec la réalité. Et je ne parle pas du roman de science fiction ou du roman fantastique ! Voyez-vous, je ne vois que deux voies pour la Littérature : le roman minéral et le publireportage.

Et pour un budget raisonnable, je peux les mettre tous les deux à votre service !

"De lourds nuages s’amoncelaient au-dessus de la plaine. Des vents froids déferlaient depuis le nord et soulevaient le sable. Nordet et Bise semblaient bien doux à côté des rugissements glacés du Barber ! Le froid était tel sur la plaine désolée que même les pépites d'or et de diamant se couvraient de givre, et se brisaient sous les violents coups de boutoir du Pampero et les accélération catabatiques du Williwaw descendu des hauteurs. Y eût-il eu des corps qu'ils eurent été transis de froid jusqu'aux os, et la plaine devint aussi sombre et glaciale qu'une tombe. L'installation d'une soufflerie thermique par les techniciens agréés ISO9001 de la SCRL Caloriconfort, voilà ce qu'il aurait fallu pour faire face aux rigueur de l'hiver ! Dans ce monde minéral, ce ne pouvait être qu'une chimère, mais pour vous, ce rêve est accessible, comme vous le découvrirez en demandant votre conseil gratuit et adapté par un simple courriel à l'adresse jacqueline@caloriconfort.com."

Toutes les études de marché indiquent que la présence de votre marque dans un roman minéral se traduirait par une visibilité accrue de vos produits !, dit Syméon Claudex. Rendez-vous compte ! Vous vendez du vent, et grâce à moi, vous voici en route pour un prix littéraire !

"La roche calcaire avait fini par rouler vers le fond de la vallée, suivant la pente raide qui menait à l'entrée du gouffre. Elle avait évité de justesse une profonde crevasse et s'était engouffrée dans la grotte qui s'ouvrait devant elle, arrêtant sa course sur une plage de glaise grasse. Les parois de la grotte ruisselaient d'humidité et l'air, qu'aucun vent sec et chaud n'assainissait, était épais et lourd. La roche calcaire, parvenue au terme de son périple, resta immobile au fond de la grotte pendant plus de dix mille ans, sa structure lentement dissoute par l'humidité ambiante, transformée peu à peu en sable se diluant dans la glaise jusqu'à y disparaître à jamais. Eût-elle eu la moindre maîtrise de son destin qu'elle eût dû ne pas laisser les problèmes d'humidité chronique mettre son existence en péril. Infortunée, elle ignorait qu'un simple enduit de chaux des Carrières Van Hazecheel, appliqué préventivement, permet en effet de réduire à néant les problèmes d'infiltration et de prévenir l'apparition de champignons, conservant à ce monde et à vos caves leur pureté minérale, devis gratuit sur simple demande au 06.48.97.01.10, demandez Monsieur Koen."

Voyez-vous, dit Syméon Claudex, la chaux est un produit assez noble pour intégrer la structure profonde et poétique du roman. Et cela pour un prix très modique ! Croyez bien que ce n'est pas le genre d'offre que je ferais à vos concurrents des Graviers Mosellans et leur vulgaire gravier schisteux ! 

"Le Barrani souffla le long de la côte et s'engouffra dans un corridor de falaises. Il emportait avec lui des millions de grains de poussière et quelques dizaines de milliers de déchets minéraux qui, sans lui, n'auraient jamais rien vu de la terre qu'ils occupaient. Ayant soufflé avec vigueur entre les parois abruptes, il vint buter dans un cul de sac sur une falaise mystérieuse. Elle ne ressemblait en rien aux vulgaires murs calcaires et granitiques de la région. Sa pierre était rose et brillait dans la lumière, striée de dessins blancs figurant les éclairs d'une nuit orageuse : le Barrani venait de frotter son être éolien sur les hauts rideaux d'un gisement de marbre rose d'une perfection inégalée. La beauté de cette pierre était telle qu'elle n'eût pu, si ce monde avait connu la vie, n'être exploitée que par les artisans de la société Les Marbriers du Sud, SA, zone commerciale du Grand Briçonnois, plus de trente ans d'expérience pour la réalisation de vos plans de travail et salles de bain en pierre naturelle, showroom ouvert du mardi au samedi et 10 à 18 heures."

Bien entendu, dit Syméon Claudex, ceci n'est qu'un exemple extrait de la scène finale du chapitre 5, mais, moyennant un petit supplément, je peux mentionner vos réalisations de terrasses en pierre bleue dans une scène du chapitre 6 !

Vois, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, j'ai rassemblé les adresses de toutes les entreprises du pays actives dans l'extraction de marbre, de pierre bleue, de grès, de calcaire, dans la taille d'ardoises, le concassage de pierres à chaux, la taille de moellons, pavés et bordures, la fillérisation des sables, la valorisation des déchets houillers, et bien entendu les principales sociétés du secteur diamantaire.

- Tu cherches donc un emploi ?
- Mais non, voyons, des mécènes. Quelle belle opportunité que mon roman minéral pour leur réputation !

Puisque tu tiens tant à ce que je gagne de l'argent, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, j'ai envoyé ma candidature pour un poste. Il semble évident que tu ne crois pas au potentiel commercial à court terme de mon roman minéral. J'ai cependant précisé qu'il était très important que je conserve beaucoup de temps pour mon œuvre !
- Et de quel poste s'agit-il ?
- Médecin urgentiste à l'hôpital.
- Tu n'es pas médecin.
- Oui, je crois que je vais devoir refuser l'offre.

Oui, bien sûr, j'en ai bien conscience, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, il faut payer le loyer et les factures, et subvenir aux besoins de nos enfants ! Et certes, l'Art exige tant de moi que je ne peux garantir à notre ménage des revenus réguliers. Mais crois-moi, nos petits-enfants seront très satisfaits de toucher, chaque année, une rente confortable grâce aux droits générés, dans l'avenir, par mon œuvre minérale ! Et la reconnaissance que mon spectre lira dans leur regard effacera le mépris qui encombre le tien aujourd'hui !

Syméon Claudex a regardé l'état de ses économies. Depuis qu'il ne travaille plus afin de se consacrer à l'écriture de son roman minéral, elles fondent encore plus vite que la calotte polaire. Une simple règle de trois lui a permis de calculer qu'il dispose encore de ressources pour deux mois, soit, au rythme de sa production, le temps d'écrire un chapitre et demi. L'objectif est donc simple, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, terminer rapidement ce roman qui fera une centaine de pages, et obtenir un à-valoir de cinquante-mille euros.

- Admettons. Et puis tu recommenceras à travailler ?
- Es-tu folle ? Je me dois à mon public !

Et la gueule de bois du lendemain, pense Syméon Claudex en cherchant la boîte de paracétamol, est encore matière romanesque pour le romancier autobiographique, tandis qu'elle n'est, pour le romancier minéral, que regrets honteux et incapacité de travail.