mercredi 31 juillet 2019

"Malgré une impressionnante débauche de vents, votre roman manque de souffle."
"Qu'il n'y ait pas de personnage, passe encore ; mais il eût tout de même fallu un auteur."
"La langue est pâteuse comme si le responsable de ces lignes avait marché la bouche ouverte dans une tempête de sable."
"Votre roman minéral tient ses promesses : il est aussi lourd qu'un bloc de granit".
"Les moments où vous parlez de falaises sont les seuls où l'on pourrait percevoir une issue à ce cauchemar, si seulement il était possible de se jeter de leur sommet."

Je m'écris à moi-même des lettres de refus, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, car le style de celles que je reçois de la part des éditeurs est épouvantable. Il faut vraiment tout faire soi-même !

mardi 30 juillet 2019

"Cher Monsieur Claudex,
Nous avons bien reçu votre manuscrit, que nous ne publierons pas. Sa lecture nous a donné la sensation de marcher en tongs dans un désert de dunes. Nous avons la triste tâche de vous informer que l'architecture du texte s'est effondrée sous le poids des parpaings que vous appelez chapitres. Les phrases s'écoulent à la manière d'une fontaine pétrifiante. Bref, il nous a laissés de marbre. En d'autres termes : votre roman minéral nous a miné le moral.
Veuillez, bla bla bla."

La marque des véritables écrivains, dit Syméon Claudex, c'est cette faculté à imposer leurs thèmes jusque chez ceux qui ne les comprennent pas.

lundi 29 juillet 2019

Je ne suis pas inquiet, ce n'est qu'une question de temps, dit Syméon Claudex à un ami. Un éditeur finira, tôt ou tard, par s'apercevoir que mon roman minéral introduit la révolution de et dans la Littérature, et s'empressera de le publier.

Mais à tous les coups, ce sera une publication posthume dans une collection patrimoniale. Je sens que mon œuvre est en avance sur son époque, et mon succès en retard sur ma vie.

dimanche 28 juillet 2019

Il faut l'esprit fort, et fermes les principes, pour se lancer dans le grand bouillon éditorial ! dit Syméon Claudex à un ami. Moi par exemple, jamais je ne cèderai sur l'essentiel. À cet égard, un bon éditeur se reconnait selon moi à deux critères fondamentaux : son désir de publier mon roman minéral et le montant de l'à valoir. Le reste n'est que littérature.

samedi 27 juillet 2019

"Cher Monsieur Claudex,
Nous vous remercions pour l'envoi de votre manuscrit. Malheureusement, il ne correspond pas à notre ligne éditoriale.
Nous vous souhaitons, bla bla bla."

Non mais quelle honte ! s'écrie Syméon Claudex. Et ce torchon vient des éditions du Seuil ! Un plagiat scandaleux de la lettre d'Antoine Gallimard ! Eh bien, je suis soulagé de ne pas publier dans cette maison. Confier mon roman minéral à des gens sans la moindre créativité, et moins encore d'honneur ? Jamais !

vendredi 26 juillet 2019

Ponge. Valéry. Romains. Modiano. Gide. Queneau. Kundera. Mishima. Proust. Camus. Yourcenar. Calet. Huysmans. Gary. Perros. Mallarmé. Quignard. Apollinaire.

J'en passe et des meilleurs ! dit Syméon Claudex. Je comprends mieux pourquoi ce Monsieur Gallimard considère que mon roman minéral ne correspond pas à sa ligne éditoriale. Une bande de vieilles statues pétrifiées ! Y introduire mon œuvre risquerait bien de dynamiter ce mausolée granitique !

jeudi 25 juillet 2019

Lucidité et humilité : comme je tiens ces qualités en haute estime ! dit Syméon Claudex à un ami. Vois cet Antoine Gallimard comme il connaît ses limites et sait les reconnaître ! Publier mon roman minéral n'est pas dans ses moyens.

"Il ne correspond malheureusement pas à notre ligne éditoriale."

Et ce sens du compliment malgré l'humiliation !

mercredi 24 juillet 2019

"Cher Monsieur Claudex,
Nous vous remercions de nous avoir soumis votre manuscrit. Il ne correspond malheureusement pas à la ligne éditoriale de notre maison.
Bien à vous,
pp. Antoine Gallimard
(signature illisible)"


- Bien sûr que non, ce n'est pas une lettre-type, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Ne perçois-tu pas toute la tristesse qui émane de ces mots simples ? Ces quelques lignes chargées de regrets sont un aveu : mon roman est trop en avance pour cette maison. Ce Monsieur pp Gallimard me signifie ceci : "Syméon, vous êtes l'avant-garde !"

mardi 23 juillet 2019

Plutôt que d'attendre en te morfondant, dit un ami à Syméon Claudex, pourquoi ne te mets-tu pas à l'écriture d'un second roman ? Ne serait-ce pas grisant d'aller d'un bon pas au-devant de ton destin ?

- Un peu comme recommencer à se saouler alors qu'on n'a pas dessaoulé de la veille ?

lundi 22 juillet 2019

La prochaine étape, dit à la télévision l'expert en aérospatiale, c'est évidemment un voyage habité vers Mars. Nous ne tarderons plus à envoyer une mission scientifique sur la surface rocheuse, caillouteuse et poussiéreuse de la planète rouge. Mais attention ! Un tel voyage n'est pas si simple ! Songez qu'il faudra, selon que nous choisirons d'utiliser peu ou beaucoup de carburant, entre 180 et 258 jours de voyage ! Peut-être même plus !

- Et bien voilà ! Un écrivain qui aurait envoyé un manuscrit à des éditeurs aurait tout le temps de faire un aller-retour vers Mars avant même de recevoir une réponse de leur part, se dit Syméon Claudex. Il pourrait même pousser jusqu'à Alpha du Centaure !

dimanche 21 juillet 2019

Neil Armstrong sort du module lunaire et descend un à un les barreaux de l'échelle jusqu'à n'être plus qu'à quelques centimètres de la surface. Ses mouvements sont lents et rendus difficiles par son scaphandre blanc. Alors qu'il s'apprête à sauter du dernier échelon pour toucher enfin le sol du satellite sans vie, il paraît hésiter, et tourne comme il le peut la tête pour regarder le paysage.
- Houston, le sol semble couvert d'une fine poussière, dit-il.
Le voici qui pose enfin un pied sur la surface.
- Houston, mon pied s'enfonce d'un ou deux centimètres dans une poussière fine, mais le sol est stable.
Armstrong lâche les montants de l'échelle. Il a désormais les deux pieds posés sur la surface. Il baisse lentement la tête. On entend sa respiration à travers le micro dont on a équipé le scaphandre.
- Houston, dit-il, la poussière sur le sol est étrange. Je vais regarder de plus près.
Sa respiration s'accélère comme il tente de se courber vers le sol.
- Houston, ce... ce n'est pas de la poussière... on dirait... oui, on dirait des lettres ! Ce sont des lettres de notre alphabet ! C'est incroyable, il y en a des milliards de milliards ! Minuscules et complètement désordonnées ! Houston, cela n'a absolument aucun sens, je... attendez... on dirait... mais oui ! le sol est entièrement couvert de ce qui semble être un roman ! D'un certain... Syméon Claudex. Houston, je vais faire quelques pas...
Le silence sidéral est total. Neil Armstrong s'éloigne du module de quelques mètres. Puis, soudain, sa voix ressurgit par-delà le ciel immense.
- C'est un grand pas pour Syméon Claudex, mais un tout petit pas pour la Littérature, dit-il, tirant Syméon Claudex de son sommeil.

- Quelle saloperie, la pleine lune ! dit-il à celle qui partage sa vie.

samedi 20 juillet 2019

Syméon Claudex et celle qui partage sa vie regardent les images du premier voyage lunaire de l'être humain, que toutes les télévisions rediffusent en boucle pour célébrer le cinquantenaire de l'événement. Derrière les gesticulations des astronautes, la lune offre un paysage désolé, sec et poussiéreux. Ne semblent dépasser du sol que des rochers. Si on fait un instant abstraction de cette présence humaine incongrue, on ne peut que ressentir une profonde solitude, et le vide, et l'ennui minéral un ennui d'une pureté venue du fond des âges.

- C'est fou, j'ai l'impression d'être plongée dans ton roman !
- Je m'en doutais. Inutile alors d'espérer vendre les droits d'adaptation cinématographique qui paierait pour un simple remake ?

vendredi 19 juillet 2019

Cette mine déconfite. 
Ces yeux rougis. 
Ce regard absent, perdu sur le mur aveugle où s'écaille la peinture. 
Ce pyjama, alors qu'il est seize heure. 
Et ces bouteilles aussi vides d'alcool que ton haleine en est pleine.
Faut-il vraiment que cette attente de réponse te plonge dans de tels tréfonds ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie.

- Je m'ennuyais. J'ai cru bon de relire des extraits de mon roman minéral. C'est catastrophiquement mauvais.

jeudi 18 juillet 2019

Et que dire de ces auteurs qui ont empli jusqu'à la gorge leur roman de personnages, se dit Syméon Claudex, et qui, espérant vainement une réponse à l'envoi de leur manuscrit, les passent et repassent en revue, un par un, des semaines durant, comme on ressasse une idée fixe, en se demandant lequel d'entre eux, par trop antipathique, irréaliste ou falot, est responsable du silence assourdissant des éditeurs...

mercredi 17 juillet 2019

Une chance d'avoir choisi d'écrire un roman minéral ! se dit Syméon Claudex. Si j'avais écrit un roman aquatique, j'aurais maintenant l'impression de flotter seul sur un océan sans vie. 

Or je nage mal et j'ai le mal de mer !

mardi 16 juillet 2019

La puissance de mon écriture me surprend moi-même, se dit Syméon Claudex. Voici que la réalité prend la forme du monde minéral que j'ai créé. Ainsi cette longue attente d'une réaction éditoriale ressemble à la plaine aride balayée par un vent froid, où ne roulent que quelques cailloux secs et j'y erre tel un spectre. C'est à croire que si je n'y ai mis aucune vie, c'est afin d'y éprouver moi-même la plus profonde solitude.

lundi 15 juillet 2019

Être éditeur, dit Syméon Claudex à un ami, ce n'est rien d'autre que faire commerce de l'oubli. Rééditer des œuvres tombées dans l'oubli en les présentant comme des trouvailles; faire oublier qu'on a publié le roman nullissime d'un auteur minable; oublier ses propres convictions si un coup éditorial se présente...

Pire encore ! Tant tarder à répondre à l'envoi de mon manuscrit que j'aurai oublié ce dont il s'agit quand arrivera enfin leur courrier !

dimanche 14 juillet 2019

Quelle terrible histoire ! dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. On a retrouvé, dans son appartement, assis dans son fauteuil, le cadavre momifié d'un homme mort depuis plus de dix ans ! Un drame de la solitude !

- Tu parles ! Encore un auteur qui attendait désespérément une réponse éditoriale à son manuscrit !

samedi 13 juillet 2019

Quelle souffrance est-ce là ? demande Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Dois-je ainsi me sentir ignoré par l'objet de mes attentions les plus nobles ? Voici que je mets mon âme en perce sur le papier afin que s'en écoule le suc le plus précieux et, tandis que je leur en fais l'offrande, les Dieux et leurs prêtres ne m'opposent que le silence ? Voici que j'expose à leurs yeux le bouleversement de l'art littéraire et nul ne se précipite pour m'en rendre grâce ? Ô cruels ! Faut-il que ma solitude soit pareille à celle du poète transi d'amour qui, du fond de son tourment, fait jaillir les vers les plus purs pour faire don de son être et ne reçoit en retour que mépris et dédain ?

- Comment, que dis-tu ? Dis, as-tu pensé à racheter des croquettes pour le chat ? La pauvre bête est affamée !

vendredi 12 juillet 2019

Qu'espères-tu recevoir comme réponse à un tel tombereau d'injures ? demande à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Ce sont des éditeurs, tout de même !

- Justement ! Seuls les termes d'un contrat d'édition pourraient être plus insultants à mon égard !

jeudi 11 juillet 2019

Dis-donc, la grande andouille à tête de lard ! Face moche qu'a pas l'air d'avoir inventé la machine à séparer l'eau de l'huile ! Ton grand-père peut bien s'être coincé les prunes dans les ressorts de son sommier, j'en ai rien à dégorger que t'aies pas eu le temps de me répondre ! Tu vas lever ta boîte à mou de veau de la paillasse qui te sert de bureau et publier mon livre, fichu gangster dégénéré !

- Avec un petit éditeur indépendant, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, comme tu le vois, on peut se permettre d'être un peu plus familier.

mercredi 10 juillet 2019

J'apprends incidemment qu'en patois normand, le terme vesouille désigne la force, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, et par extension, le courage au travail.

Ainsi peut-on dire à Monsieur le directeur des éditions du Seuil la phrase suivante : Eh oh ! Noble Jean-Foutre, c'est pas trop dur de les avoir à la retourne ? Tu manques de vesouille, Gélatine ? Tu vas te décaler et me répondre, oui, feignasse ?

mardi 9 juillet 2019

Sais-tu, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, que la lampotte est un mollusque gastéropode qui s'incruste par succion sur les rochers des côtes maritimes ? Ainsi, on traite de lampotte une personne aux réactions lentes et maladroites. 

Par exemple : Dis-donc, Gallimuche, espèce de lampotte, tu vas lâcher tes romans de plage et te décider à me répondre, oui ?

lundi 8 juillet 2019

Tu dois te préparer à recevoir des réponses défavorables, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Il faut bien penser que quelques éditeurs seront insensibles aux charmes de ton roman.

- Je suis d'accord, et c'est pourquoi j'ai acheté un imposant dictionnaire des injures !

dimanche 7 juillet 2019

On pense à tort que les grands écrivains consomment de l'alcool pour y puiser l'inspiration et soigner leurs penchants dépressifs, dit Syméon Claudex, alors qu'il est surtout utile après avoir écrit plutôt que pendant :  il faut alors en faire couler beaucoup pour remplir les longues heures à attendre une réponse d'un éditeur !

samedi 6 juillet 2019

Deux jours d'attente déjà, dit Syméon Claudex. L'alternative m'apparaît clairement : soit mon génie les stupéfie, soit les colis se sont perdus.

vendredi 5 juillet 2019

Certains mystiques plongés dans des profondeurs méditatives aux portes de la mort. De rares astronautes flottant seuls dans l'espace. Ou quelques alpinistes suspendus au-dessus d'insondables crevasses, dit Syméon Claudex à un ami. Oui, vraiment peu nombreux sont celles et ceux qui ont fait l'expérience du vide avec la même intensité que l'écrivain contraint à l'attente infinie d'une réponse des éditeurs !

jeudi 4 juillet 2019

Écrire exige de l'écrivain l’opiniâtreté, dit Syméon Claudex à un ami, mais à peine le roman est-il écrit et envoyé aux éditeurs qu'il faut troquer l’opiniâtreté pour la patience, voire : le détachement. C'est l'heure pour moi de rentrer en moi-même. De me donner tout entier à la contemplation. De partir en exil intérieur, dans le désert de l'attente, faisant du calme ma patrie. Comme je plains les écrivaillons dont l'impatience anxieuse est proportionnelle à leur nullité ! Le roman est écrit ! Le voici qui mène son chemin. Rien ne sert de perdre son sang froid. Il s'imposera bien à temps et j'attends dans la sérénité. Calme et tranquille comme une grenouille.

Mais si dans une semaine je n'ai pas reçu de réponse, ils vont m'entendre !

mercredi 3 juillet 2019

"Refaut...gruhkiber... ? ...po..li...nesuque... adekim ? adekin ? adekiu?"

Non, désolée, mais je ne parviens pas à déchiffrer ce que tu as écrit, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Je t'accorde qu'un manuscrit est sympathique, quoique démodé, mais tu aurais tout de même pu faire en sorte qu'il soit lisible par les éditeurs auxquels tu le destines !

- Allons bon ! C'est bien plus lisible que la plus grande part de la littérature contemporaine !

mardi 2 juillet 2019

Voilà, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, j'y suis presque.

Syméon Claudex regarde les dix-huit enveloppes alignées sur la table, correctement adressées et timbrées, prêtes à emporter les lettres d'accompagnement soigneusement écrites et signées. Il ne reste qu'à glisser dans chacune un exemplaire de son roman minéral. Il ne peut cependant se résoudre à joindre un compuscrit : ce mot est bien trop horrible. Il aurait pu, à la rigueur, se satisfaire d'un tapuscrit, mais les mécanismes fatigués de l'ancestrale machine à écrire s'oxydent à la cave. Il est, juge-t-il, inimaginable que son roman minéral pénètre le monde de l'édition sous une forme aussi vulgairement abâtardie qu'une impression jet d'encre.

Rien de tel qu'un bon vieux manuscrit ! dit-il plein d'enthousiasme, tandis qu'il cherche dans sa trousse son vieux stylo-plume et ses cartouches d'encre bleu-roi, avant d'ouvrir une première rame de papier vierge.

lundi 1 juillet 2019

Envoyer son roman aux maisons d'édition, se dit Syméon Claudex, c'est un peu comme tirer un pénalty dans un but défendu par une trentaine de gardiens. La seule chance de marquer, c'est qu'ils se tapent dessus.