jeudi 31 janvier 2019

Alors, ce qu'il te faut, dit un ami à Syméon Claudex, c'est un de ces logiciels d'analyse textuelle, qui passera ton roman au tamis de ses algorithmes, débusquera les fautes syntaxiques, les redondances formelles, les abus lexicaux. Il t'assistera de sa rigueur mathématique dans ta recherche de la perfection. Viendra à ton aide pour polir tes chapitres et en chasser la poussière indésirable. Et il ne te fera jamais défaut ! Acceptera toujours de te lire ! Il corrigera les errements de ton esprit ! Et sans pitié pour les tics d'écrivain !

- Sans façon !, dit Syméon Claudex, À l'intelligence artificielle, je préfère les artifices de l'intelligence.

mercredi 30 janvier 2019

Et les conseils de l'une ou l'un de tes pairs, suggère à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, ne te seraient-ils pas d'une grande utilité ? Ne pourrais-tu soumettre ton roman, en l'état, à une autrice, à un auteur dont tu admires le travail ?

- Un écrivain vivant dont l’œuvre me semblerait assez valable pour que je sollicite son regard expert, en somme ? Et pourquoi pas une licorne ?

mardi 29 janvier 2019

Certes, je comprends ta déception, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, mais n'est-ce pas quelque peu difficile de trouver des lecteurs avant même d'avoir achevé l'écriture de ton livre ?

- Oh tu sais, avec un roman comme le mien, ce sera encore plus difficile après.

lundi 28 janvier 2019

J'ai renoncé à obtenir de cette Madame Kimperbeke un avis sur les premiers chapitres de mon roman, dit Syméon Claudex à un ami. Elle semble incapable de dire quoi que ce soit de mon texte malgré mon insistance (et je la soupçonne de ne pas même l'avoir lu), m'annonce au premier contact qu'elle va me faire gagner beaucoup d'argent et ne cesse ensuite de me demander de lui en avancer. C'est un malentendu : je pensais faire appel à une lectrice quand en réalité, je rencontrais une éditrice.

dimanche 27 janvier 2019

Madame Kimperbeke,

Comment dois-je comprendre votre réponse et notamment cette phrase (je cite) :

"Cher, pour le lettre avec notre accord il est très important de faire confiance car nous pouvons chacun nous aider, vous pouvez envoyer à nous toute information notamment les codes." 

Dois-je y lire un souhait de votre part de pénétrer plus profondément dans mon roman pour en découvrir le sens caché ? Sont-ce les codes de la symbolique minérale que vous me réclamez ?

Bien à vous,
Syméon Claudex

PS: même vous avancer deux cents euros, c'est impossible, désolé.

samedi 26 janvier 2019

Chère Janice Marshall Kimperbeke, Chère Lectrice

Votre dernier message me plonge dans la circonspection. Je m'inquiète que vous ne fassiez toujours aucune référence aux chapitres de mon roman minéral, tels que je vous les ai soumis, et qui sont, me semble-t-il, l'objet de notre correspondance. Pouvez-vous, je vous prie, me dire si vous estimez que la structure métaleptique du chapitre deux est perceptible ou si la réduction métaphorique domine ?  Par ailleurs, la dialectique roches-vent vous semble-t-elle clairement balisée par l'utilisation de l'alternance des paragraphes dans la deuxième partie du chapitre deux ? 


Bien à vous,
Syméon Claudex


PS: Votre offre de me payer dix pourcents de la valeur de vos biens est évidemment très généreuse, mais je n'ai absolument AUCUN moyen de vous assister. Je vous confirme donc que vous envoyer mon numéro de compte bancaire et mon numéro de carte de crédit n'a aucun intérêt pour vous. Et quant à vous avancer trois cents euros, c'est impossible : je n'en suis pas encore à toucher mes droits d'auteur !

vendredi 25 janvier 2019

Chère Janice Marshall Kimperbeke, 

Merci de votre réponse rapide. Cependant, je suis inquiet : avez-vous bien reçu les premiers chapitres de mon roman ? Je m'étonne que vous n'y fassiez aucune allusion dans votre message. À moins, je le comprendrais, qu'une certaine pudeur vous empêche de me dire le bien que vous en pensez. Comme je vous l'ai écrit dans mon message précédent, je souhaite un retour sur le style, la construction narrative et l'imaginaire minéralo-éolien qu'il installe en vous. Cela étant dit, pourquoi diable voulez-vous que je vous envoie mon numéro de compte bancaire et le numéro de ma carte de crédit ? Comme je vous l'ai dit, je ne peux vous aider pour ce qui concerne vos transactions financières.
Bien à vous,

Syméon Claudex

PS : puisqu'il semble que vous connaissez le sujet, puis-je vous demander de m'envoyer une liste exhaustive des minerais précieux et semi-précieux du Zimbabwe et, plus généralement, du sous-sol africain ?

jeudi 24 janvier 2019

Syméon Claudex ouvre son logiciel de courrier électronique. Il compte choisir un message au hasard, par exemple, le sixième en partant du haut, et l'expéditeur ou l'expéditrice sera désigné par le sort pour lire son roman. Quelle chance je vais offrir à cette bienheureuse âme !, se dit-il. Entrer de plain pied dans la révolution minérale ! Qui peut prétendre avoir vécu telle aventure depuis Neil Armstrong ? 

Te voici désigné par un audacieux fatum, Janice Marshall Kimperbeke !, dit joyeusement Syméon Claudex, avant de se lancer dans la lecture du courrier qui lui annonce que le père de Janice Marshall Kimperbeke, opposant au président de la République du Zimbabwe et homme d'affaires, est décédé, laissant à sa fille Janice la difficile tâche de faire sortir un million de dollars américains du pays, ainsi que des diamants, raison pour laquelle elle fait appel à Syméon Claudex.

Je ne peux rien pour elle, pense Syméon Claudex, mais au moins la lecture de mon roman lui changera-t-elle les idées ! De plus, ce sera bénéfique pour son orthographe !

mercredi 23 janvier 2019

Oui, tu as raison, un roman n'existe que lu. Il est temps que je termine ce livre, dit Syméon Claudex à un ami, et qu'il soit publié. Qu'il affronte le monde vaste et bigarré des lectrices et des lecteurs. Pour être convaincu que je suis sur la bonne route et que la révolution de et dans la littérature est au bout de ma plume, il me suffira de recevoir leurs sentiments : incompréhension, détestation et mépris.

mardi 22 janvier 2019

Syméon Claudex sait qu'il n'est qu'une manière de se remettre à l'écriture de son roman : s'isoler dans son bureau. Fermer les écoutilles sur le monde extérieur. Éteindre la lumière partout où n'est pas son travail. Ne plus jeter le moindre regard aux pages littéraires des magazines. Ne plus allumer la télévision. Barricader les fenêtres électroniques. Couper le téléphone, l'enfermer dans un coffre, enterrer le coffre et couler sur le trou rebouché le béton de l'oubli. Rien ne doit l'empêcher de révolutionner la littérature : ni le bruit sourd des concurrents malveillants, ni le bavardage des livres sans âme. Être seul et concentré, pour trouver, en lui-même, son œuvre.

Ainsi, voici que je lance à l'intérieur de moi, tel un cri, tel un appel, l'onyx noir qui réveillera le dragon créateur, dit à part lui Syméon Claudex, un peu dépité que ne lui revienne rien d'autre que l'écho d'un caillou tombant au fond d'un puits désaffecté.

lundi 21 janvier 2019

J'ai entrevu l'avenir, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Magie de l'enfance qui contient les germes du futur, et ouvre à l'artiste clairvoyant une fenêtre sur le devenir du monde ! Rien de tel que ces rencontres scolaires pour aider l'écrivain à comprendre l'esprit d'une génération, ses désirs, son potentiel !

- Et qu'as-tu donc appris sur cette génération ?
- Qu'il ne s'y trouvera personne pour lire mes livres.

dimanche 20 janvier 2019

L'institutrice remercie vivement Syméon Claudex d'avoir pris le temps d'expliquer aux enfants ce que c'est qu'écrire. C'est intéressant, précise-t-elle, de voir l'artiste à l’œuvre, ses doutes, ses échecs. Surtout quand il n'est pas connu et n'est pas changé par le succès.

- Et puis, Monsieur Claudex, c'est important qu'ils voient ce qui les attend s'ils n'étudient pas assez et ne trouvent pas de travail !

samedi 19 janvier 2019


"Il était une petite fois, au fond d'une petite vallée, une petite pierre ronde qui roulait, poussée par une petite brise dans le petit matin. La petite pierre ronde roulait, roulait, roulait ! Elle aurait pu porter un petit pot de beurre à sa mère-grand, mais le beurre n'existait pas, et sa mère-grand n'était qu'une coulée de lave refroidie. La petite pierre ronde roulait tant et si vite qu'elle ne vit pas et pour cause, elle n'avait pas d'yeux le Grand Méchant Caillou qui l'attendait derrière un petit tas de sable. Et bardaf ! Elle s'écrasa sur le Grand Méchant Caillou ! La petite pierre aurait été bien malheureuse si elle n'avait pas été une petite pierre ronde dépourvue de tout sentiment ! Elle n'était pourtant pas une petite pierre ronde ordinaire ! C'était un jaipur magnifique ! Alors, la petite pierre ronde ne dit rien, car elle n'était qu'une pierre, et elle n'avait pas de petite bouche, et ne savait pas quoi dire, puisqu'elle n'avait pas non plus de petit cerveau. Heureusement, la petite brise continuait de souffler et la petite pierre ronde se remit à rouler."

Voilà, c'est terminé. Nous l'appellerons "Le petit jaipur rond roule". Vous comprenez, maintenant, les enfants, dit Syméon Claudex à l'assemblée des élèves, ce que j'entends par "la révolution de et dans la littérature pour la jeunesse" ?

vendredi 18 janvier 2019

- En somme, dit Syméon Claudex devant l'assemblée de jeunes élèves, j'occupe mon temps à esquisser des paysages rocailleux, peindre des ciels tourmentés par le vent qui soulève la poussière, tracer le contour de pierres précieuses avec, en perspective, une œuvre aussi tranchante qu'un tomahawk.
- Oh, m'sieur, c'est comme mon papa ! Il fait un western en bande dessinée ! Il fait plein de dédicaces dans les festivals !
- Heureux homme. M'est plutôt promise une chevauchée solitaire dans un désert de lecteurs, survolé par les vautours de la critique. Ouaip.

jeudi 17 janvier 2019

- Papa ! Papa ! Notre institutrice souhaite que vous veniez en classe expliquer en quoi consiste votre travail d'écrivain ! Dites oui ! Dites oui !

C'est inquiétant, pense Syméon Claudex, cette tendance de l'école contemporaine à enseigner aux enfants l'échec professionnel, l'isolement social et le sentiment d'inutilité.

mercredi 16 janvier 2019

Votre roman, Monsieur le Ministre, est évidemment d'essence antitragique, et votre Hélène, en qui bien sûr nous ne manquons pas de voir Hélène de Troie espérant James-Pâris, tout autant qu'Hélène, en ce qu'elle attend les garçons, que nous comprenons ici - et pourquoi non ? - comme les Templiers, imprécateurs passés d'un Dasein qui ne saurait advenir, et que j'ai moi-même signifié à travers une formule qui est aussi, je le reconnais, une anti-formule : l'immoralisme poivré par les convenances. Ainsi je tiens "Les oliviers de la bastide des Templiers sous l'orage" pour l'imago d'un Zeitgeist du contemporain. Car enfin la dialectique qui s'installe entre Hélène, d'une part, figure antitragique, et Breteuil, en statue du Commandeur qui est l'archétype d'un logos performatif, nous sert à percevoir les conditions d'un dépassement du donné phénoménal au sens où Schoppenhauer l'entendait. Comme je le dis souvent : grâce à des auteurs tels que vous, le réel a cessé d'être neutralisé par le langage, et s'offre au spectateur dans son immonde crudité.

- Eh bien merci, cher Raphaël, pour cette lecture passionnée, conclut le présentateur de "La Masse et l'Enclume", tandis que Syméon Claudex, ivre, se demande si par hasard, les philosophes qui passent à la télévision ne sont pas, eux aussi, sous l'emprise d'un double maléfique.

mardi 15 janvier 2019

Quelle étrange humiliation que de regarder, impuissant, s'agiter en un grand sabbat son double maléfique et son pire ennemi, tandis qu'ils piétinent son corps absent et outragent de leur fatuité l'âme non-encore née de son roman révolutionnaire, faisant banquet du cadavre tiède de la Littérature, le dépeçant aux yeux de tous, dans de grands éclats de jouissance narcissique ! 

Surtout quand on a soi-même l'alcool lyrique, se dit Syméon Claudex en se resservant un huitième verre de cet excellent whisky, faisant profit d'une coupure de publicité au milieu de la diffusion télévisée de l'émission littéraire "La Masse et l'Enclume", où sont mis à l'honneur Armand Métamagnus, pour "De lave et de vent", et le Ministre, pour "Les oliviers de la bastide des Templiers sous l'orage".

lundi 14 janvier 2019

En somme, dit un ami à Syméon Claudex, tu souhaites que l'on fasse un grand feu tous les exemplaires de "De lave et de vent" ? Tu appelles à l'autodafé ?

- Me prends-tu pour un censeur ? Voyons, je suis un démocrate ! Le pilon suffira !

dimanche 13 janvier 2019

Un écrivain SAIT qu'il est écrivain, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. C'est pour lui une évidence. Et quand il lit un livre, bien souvent, il SAIT qu'il peut faire mieux. Ce n'est pas une question d'orgueil ni de confiance en soi : c'est une certitude immanente à son rapport intime à la littérature. Ainsi, je SAIS que je peux faire mieux que la plupart des romanciers. 

Et je ne vois pas ce que ça change, le fait que je ne sache pas encore COMMENT !

samedi 12 janvier 2019

La Littérature nous requiert tout entiers, écrit Syméon Claudex. Ce ne peut être une activité de la demi-mesure. Ainsi, explique-t-il, quand il admire une œuvre littéraire, quand un style l'emporte, son admiration est inconditionnelle. L'amour d'un auteur, l'amour vrai pour une autrice, c'est forcément de la vénération. Et de même, écrit-il encore, quand une œuvre lui déplaît, alors rien ne peut en être sauvé. Une œuvre littéraire doit être vénérable, ou ne pas être.

C'est pourquoi, cher Monsieur, je suggère vigoureusement à votre maison d'édition de pilonner l'intégralité du tirage de "De lave et de vent" du nommé Métamagnus. Et n'oubliez pas de vider la corbeille après en avoir effacé le fichier !

vendredi 11 janvier 2019

Avant tout, explique Syméon Claudex à celle qui partage sa vie, je vais fesser ce Métamagnus en place publique en écrivant une lettre ouverte à son éditeur. Ah ! Je vais lui faire un sort, au tire-ligne et à sa prose cimentée ! Voici l'incipit qui germe sous ma plume :

"Monsieur,

Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil que vous me ferez un jour prochain, d’avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu’ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches ? Vous êtes sorti sain et sauf des viles publications, vous avez conquis les cœurs. Vous apparaissez rayonnant dans l’apothéose de cette fête de l'esprit que la rentrée littéraire de janvier a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de mon roman à paraître, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté. Mais quelle tache de boue sur votre nom - j’allais dire sur votre règne - que cette abominable Armand Métamagnus !"

- Bof, c'est un peu assommant, non ?
- Je vais titrer : Il abuse ? J'accuse !

jeudi 10 janvier 2019

Syméon Claudex explique à un ami combien il lui est difficile de se remotiver à l'écriture de son roman. Quelle peine il ressent à trouver un chemin dans l'épaisse forêt de ses doutes. Tout ce à quoi il a consacré son âme est désormais dans les mains, et dans le livre, d'un autre que lui, qui lui a pris son vocabulaire, son univers, et même, pour ainsi dire, sa voix. Quelle douleur est la sienne quand il cherche une idée minérale, la tête enserré dans ses mains comme si elles pouvaient en presser le jus de la création ! Il se sent, dit-il, vide de toute énergie. À Métamagnus la joie du roman achevé ! À Métamagnus la reconnaissance critique ! L'admiration du public — jusqu'à celle de sa propre compagne ! Et à lui, que reste-t-il ? Un roman ensablé pris dans une tornade de vent glacé. Non, vraiment, il lui faut changer de perspective. Une nouvelle raison d'écrire. Un carburant puissant. Une nouvelle maîtresse intellectuelle !

C'est pourquoi, dit-il, j'ai décidé de reprendre mon roman sur des bases littéraires saines : le désir de vengeance et l'humiliation de l'adversaire.

mercredi 9 janvier 2019

Six points de suture, un œil au beurre noir, une entorse..., dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. J'espère qu'au moins tu as trouvé de la matière pour ton roman !

- Oui, le titre : "Schiste happens".

mardi 8 janvier 2019

Ah bon ? Vous êtes écrivain ?, dit l'urgentiste à Syméon Claudex. Je vous envie. Vous avez à votre disposition le point-virgule, les deux points, les points de suspension, le point final... Quel choix ! Quand je pense que je n'ai que des points de suture à vous offrir !

- Votre humour est déplorable.
- Oui, j'y mets un point d'honneur.

lundi 7 janvier 2019

Syméon Claudex a résolu de s'en remettre à la course à pied pour fixer le devenir de son roman. Armand Métamagnus ne peut tout de même pas s'approprier tout le magma terrestre, ni les gisements de pierres précieuses, ni même les réserves de karst de la planète ! Pour ne rien dire du vent, par nature insaisissable. Il reste assez de matière préservée de la souillure d'une prose illégitime pour que Syméon trouve le filon de gemmes dont il sertira son œuvre révolutionnaire.  

Le Runner_littéraire courra donc en forêt. Ce que le chemin placera sous mes pas sera la pierre angulaire de la refondation de mon roman, pense-t-il en s'élançant, les yeux rivés sur le sentier. Qu'il est grisant de regarder la croûte terrestre dans les yeux !, pense-t-il encore, et de fouler cette intim...

Mais le cours de ses pensées est interrompu, comme il fait un écart soudain pour éviter des fèces chevalines, avant de s'embourber dans une ornière profonde au point d'y perdre l'équilibre, et de choir tête en avant sur la branche basse et contondante d'un sapin.

dimanche 6 janvier 2019

Ses mots sont peut-être bien choisis, dit Syméon Claudex. Leur agencement en phrases n'est pas dépourvu de sens. Les chapitres constitués de ces phrases ont un brin d'intelligence. Quant à la succession des chapitres, elle forme un roman qui semble tenir la route. Mais pardon ! Dans l'idée que je me fais de mon roman révolutionnaire, tout cela aurait autrement plus de grandeur !

samedi 5 janvier 2019

Eh bien je trouve ce roman post-volcanique, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie. Les premiers chapitres sont comme l'éruption minoenne, soudaine et violente, créant au milieu de la mer l'archipel de Santorin. Puis, lentement, la beauté se construit. On se promène dans le livre comme dans un de ces villages d'une blancheur immaculée. Les ruelles de galets polis par les siècles serpentent entre les murs blanchis de chaux, aux courbes divines, aux angles précis, entretenus avec soin pour offrir aux voyageurs une idée juste de la perfection. Pas la moindre touffe d'herbe faufilée entre les pierres pour briser la rigueur du lieu.  L'aveuglante pureté du roman rappelle la luminosité solaire des Cyclades, dit-elle. Pourquoi n'es-tu pas sensible à cette lisse élégance ?

- C'est que, pour le post-volcanisme, dit Syméon Claudex, je préfère les ruines de Pompéi.

vendredi 4 janvier 2019

Syméon Claudex respire profondément.

Il ouvre "De lave et de vent" et commence à lire le texte à voix haute. Il lit lentement, faisant saillir chaque syllabe de chaque mot, laissant chaque phrase se déployer dans l'espace. Tout en lisant, il tend l'oreille à la mélodie syncopée qui s'élève de la langue d'Armand Métamagnus. Pleine de roches abrasives, elle roule et charrie des mots granitiques comme le magma s'écoulant du cratère. Elle dévaste tout sur son passage, redéfinit les paysages et recrée le monde d'une manière irréfutable. Comme il comprend l'engouement de celle qui partage sa vie pour ce roman d'une troublante puissance poétique ! Et maintenant ?, demande-t-il, maîtrisant avec peine son émotion.

Et maintenant, lui répond Maître Professeur Monsieur Kanthé Boubouadja, tu arraches les deux pages que tu viens de lire, tu y dépose le cœur de poulet et tu transperces le tout avec l'aiguille, puis tu la plantes dans la petite poupée. Et puis tu me donnes les cent euros, en billets de dix, vingt ou cinquante.

jeudi 3 janvier 2019

MEDIUM VOYANT GUÉRISSEUR Maître Prof. Monsieur Kanthé BOUBOUADJA
Très excellent guérisseur, son pouvoir tient de ses ancêtres. Capable de résoudre tous vos problèmes, connu pour ses compétences et sa sagesse, très très fort, soigne les chagrins d'amour, redresse tous les sexes tordus LES PROBLEMES D'AMOUR N'ONT PLUS DE SECRET POUR LUI Votre mari ou votre femme vous a quitté, il ou elle courra derrière vous son maître et demandera pardon toute sa vie. Protection contre les dangers, maladies inconnues, problèmes d'argent, permis de conduire, alcoolisme, examens, solitude, fécondité, chance, POUR MAIGRIR, réussite dans vos projets et affaires. DESENVOUTEMENT. Protection contre les mauvais sorts, chance aux jeux.
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Bon sang, pense Syméon Claudex, rien sur le vol d'argument romanesque, le retour d'affection de la lectrice et les problèmes d'impuissance littéraire...

mercredi 2 janvier 2019

Mais oui ! Tu as parfaitement raison !, dit Syméon Claudex à celle qui partage sa vie. Ce coup de jarnac porté à mon roman est l'occasion de revoir de fond en comble le projet ! Ma rage révolutionnaire de et dans la Littérature doit être décuplée ! Voici le moment de radicaliser le propos et la langue ! Voici que je dois porter le fer dans la plaie, la saupoudrer de sel et écrire ! Ô dieu, écrire, écrire, écrire ! Me jeter tout entier dans le magma du style ! Faire de ma vie la syntaxe et de la syntaxe, ma vie ! Mais oui ! Tu m'ouvres les yeux : je dois rendre mon œuvre plus intense et irréfutable !

- Oui, enfin, quand je disais "l'occasion de changer", je voulais dire, tu n'es pas obligé de t'obstiner sur ce roman. Pourquoi ne ferais-tu pas un foodtruck ?

mardi 1 janvier 2019

Vois-tu, dit à Syméon Claudex celle qui partage sa vie, il y a ce type du cabinet d'assurance à deux rues d'ici... Eh bien, j'ai vu récemment Georges Clooney à la télévision et j'ai été stupéfaite de sa ressemblance avec cet assureur, ajoute-t-elle après un court silence. C'est très troublant : les yeux de Georges Clooney, figure-toi, sont très semblables à ceux de l'assureur. Le dessin de la bouche de Georges Clooney est très semblable à celui de la bouche de l'assureur. La forme de son visage ! L'implantation de ses cheveux ! La tessiture de sa voix ! Chaque partie de Georges Clooney, regardée isolément, évoque l'assureur, dit-elle. Et même, il ne serait pas exagéré de dire que Georges Clooney et l'assureur sont peu ou prou des sosies. Il y a donc toutes les raisons de penser que cet assureur est un très bel homme, très séduisant, et qu'il serait extrêmement agréable de devenir plus intime avec lui. Et pourtant, cet homme est seul. Il est seul à sa table de café, seul en rue, et je l'ai vu, la semaine dernière, seul au cinéma. Alors que si Georges Clooney s'aventurait dans le quartier, je mets ma main à couper que tout le monde se battrait pour passer un moment avec lui, ne crois-tu pas ?

Et donc, oui, je trouve la lecture de "De lave et de vent" irrésistible !