mardi 13 août 2019

Syméon Claudex pense à tout ce qu'il ne fera pas.
Il ne relira pas les épreuves de son roman minéral avec fébrilité, craignant de laisser passer, par fatigue ou distraction, une faute typographique.
Il ne discutera pas le choix de la couverture par l'éditeur, lequel aurait sans doute choisi la photo d'une falaise de granit, tandis que Syméon aurait préféré une couverture neutre, sans titre, d'un gris venteux.
Il ne signera pas des dizaines d'exemplaires en service de presse pour des journalistes incultes et des libraires indifférents.
Il ne cherchera pas pour chacune ou chacun une formule originale destinée à leur donner l'illusion de son respect.
Il ne dépensera pas le montant de son à valoir en un seul passage à la caisse du supermarché hard-discount.
Il ne boira pas de mauvais vin avec le public rare et sénile d'une librairie defraichie qui l'aura invité sur l'insistance de son éditeur.
Il n'attendra pas la recension de la critique influente du Monde des Livres, laquelle ne paraîtra pas, ladite critique ne lisant pas les services de presse de son éditeur.
Il ne lira pas la critique assassine et lapidaire d'un blogger suivi par soixante-trois mille sept cent vingt fans.
Il ne décrochera pas le téléphone pour s'entendre dire qu'il est attendu sans délai au restaurant pour se voir remettre un prix prestigieux.
Il ne fera pas mine de le refuser pour ensuite l'accepter sous la pression de son éditeur.
Il ne répondra pas longuement à cette étudiante qui souhaitait consacrer une thèse à son roman minéral sous le titre : "La plume légère comme une roche. La Révolution de et dans la Littérature par l'oeuvre de Syméon Claudex."
Il ne déclinera pas l'invitation à participer à cette émission de deuxième partie de soirée dans laquelle des écrivains passent pour des artistes en subissant les insultes d'autres d'écrivains encore plus mauvais qu'eux.
Il n'écrira pas de roman pour adolescents dans le seul but d'être payé pour intervenir en classe et espérer vendre son roman minéral aux parents de ses jeunes lectrices et lecteurs.
Il ne regardera pas l'adaptation télévisée de son roman minéral en série (huit saisons de douze épisodes de cinquante-deux minutes).

- Mais le plus frustrant, se dit Syméon Claudex, sera de ne pouvoir écrire un essai littéraire à clés que j'aurais intitulé "La Littérature comme on fend un crâne à la hache".