jeudi 25 octobre 2018

Syméon Claudex se lève à six heures. Rapide petit-déjeuner debout dans la cuisine avant de marcher de son meilleur pas vers la gare la plus proche. Le train est bondé et le voyage se fait debout dans l'allée centrale. Une heure plus tard, il débarque du train et se précipite dans un autobus, bondé lui aussi, dans lequel il tente de maintenir son équilibre en se tenant aux poignées grasses et couvertes des microbes déposés là par des centaines de voyageurs inconnus. Ayant survécu à vingt-cinq minutes d'inhalation forcée de mauvaises odeurs, il descend de l'autobus et se fond dans une cohorte grise de piétons se pressant comme des automates surélectrifiés vers les bâtiments du district administratif. Ayant pointé à 8h50, il rejoint son bureau à 8h55 après être passé par la machine à café (1 € pour un expresso, 1,30 € pour un cappuccino, l'un et l'autre au goût de carton humide). À 9h00, Syméon commence son classement, qu'il interrompt vers 10h00 pour aller uriner et reprendre un café. À midi précise, quotidiennement, sa collègue Patricia Bournonville, en charge du tri des dossiers de la commission spéciale des arts de la scène, s'adresse à lui en ces termes : Bon, moi j'ai faim, je vais manger.

À table, Syméon Claudex ne participe pas aux conversations, portant sur divers sujets comme l'héritage de Johnny Halliday, les progrès scolaires des enfants ou les prestations des candidats à The Voice dans l'émission de la veille. Une ou deux fois par semaine, quelqu'un demande à Syméon Claudex Alors, il paraît que tu écris un roman ? De quoi ça parle ? ou bien Alors, ça avance ton roman ?, questions auxquelles Syméon Claudex a répondu la première fois avec de nombreux détails que son collègue Michel Van Feestijn, du service de soutien aux arts émergents, ponctua d'un Ouille, c'est pas un peu prise de tête, ton truc ?, ce à quoi Cynthia, affectée au Recensement du Patrimoine Architectural répondit Moi, j'aime bien une bonne histoire pour me changer les idées en vacances, pas un livre où on fait des phrases. Depuis, Syméon Claudex répond évasivement à ces sollicitations.

L'après-midi est consacrée aux photocopies, réclamations des pièces manquantes et expédition des accusés de réception. À 17h00, Syméon Claudex pointe à la sortie du bâtiment et effectue, dans les conditions identiques à celles de l'aller, le trajet du retour - éventuellement agrémenté d'un monologue de Didier Meulemeester, le responsable qualité du département des aides à la création, par ailleurs passionné de photographie animalière, si par malheur il ne parvient pas à éviter sa compagnie.

Après le repas du soir, au cours duquel ses enfants expliquent par le détail les disputes ayant eu lieu à l'école pendant la journée, Syméon Claudex, épuisé et migraineux, s'installe vers 21h30 devant son ordinateur pour enfin se consacrer à son œuvre jusqu'à ce qu'il tombe de sommeil vers 23h00. En deux semaines, il a réussi à écrire une page du chapitre quatre.

Ça progresse!, se dit Syméon Claudex. À ce rythme, j'aurai terminé un premier jet du roman dans approximativement sept ans et trente-six semaines !