samedi 8 septembre 2018

Syméon Claudex s'est réveillé vers sept heures plein de l'énergie féroce de qui se sait seul contre le monde. Il est prêt à en découdre. Il va, aujourd'hui, écrire une dizaine de pages de sa plume trempée dans une encre noire, puisée à l'intarissable source de sa rage créatrice. Il sait que le jour ne tombera pas sans l'avoir vu transcender de sa poésie la rencontre des roches et du vent. Rien n'arrêtera la course de la Littérature, de se dit-il, tandis qu'il prend le petit-déjeuner en consultant son fil d'actualité sur l'écran de son smartphone.

Vers dix heures, il est fermement décidé à s'y mettre, dès que sera terminé ce documentaire sur la disparition des abeilles, un sujet qui l'intéresse au plus haut point. Émergeant vers midi du sommeil méditatif qui l'a emporté, il décide de déjeuner sans attendre et met à cuire, dans une grande quantité d'huile, des croquettes au fromage. Je sens monter le désir incontrôlable de coucher mon âme sur le papier, se dit-il, tandis qu'il regarde à la télévision la fin du journal de treize heures. La force irréfutable d'une sieste digestive l'entraîne jusque dix-sept heures. J'ai allumé l'ordinateur, c'est du temps de gagné, se dit Syméon Claudex comme il s'en va pour libérer ses enfants de l'école. Il mange ensuite avec eux de bon appétit - du carburant pour ma prose, dit-il. Voici que sonnent déjà vingt heures. Comment vais-je écrire mon grand roman minéral si on ne m'en laisse pas le temps ?, se dit Syméon Claudex. Qu'est-ce donc que cette vie qui me tient éloigné de mon art ?

Syméon Claudex n'a pas le loisir de trouver la réponse à cette énigme, s'étant assoupi dans le canapé sans avoir vu la fin du téléfilm policier qu'il regardait, disait-il, pour comprendre les mécanismes de la narration populaire. Quand il s'éveille vers trois heures du matin, il trouve à peine la force de tituber jusqu'à son lit, dans lequel il s'effondre sans s'être brossé les dents.

J'écris avec opiniâtreté, dira-t-il à un ami qui l'interrogera le lendemain sur l'avancée de son roman.